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Mes bien cher$ frères

Eglise de la très sainte consommation, Alessandro Di Giuseppe

On a recueilli la parole du Pap’40 de l’Eglise de la Très Sainte Consommation, Messie des nantis, adorateur du culte de l’argent et du pouvoir d’achat. Avec l’intuition que derrière le bandeau Nike et le bling en toc palpitait un vrai coeur de militant. Et, quand en pleine interview Alessandro di Giuseppe lâche la soutane et le second degré pour défendre ses convictions, on se dit que l’habit ne fait vraiment pas le moine. Amen.

Qui êtes-vous Alessandro di Giuseppe ? Je suis le fils du Capital qui prêche la bonne parole sur Terre : Travaille, Obéis, Consomme. Avec mes fidèles brebis, mon banquier, mes femmes objets nous nous agenouillons dans les places marchandes pour prier au nom de la Sainte Croissance et du Saint Profit.

Quel est votre travail au quotidien ? Je baigne dans l’oisiveté, la luxure et l’opulence. Certains disent que 65% des plus riches détiennent autant que la moitié de la population mondiale et qu’il y aurait des injustices sur terre… Oui, mais on n’en a rien à foutre.

Qu’est-ce que l’Église de la Très Sainte Consommation ? C’est la première religion sur Terre : des milliards d’adeptes qui vouent un culte à la consommation. Et si l’on détient déjà les rênes de la société, on en veut toujours plus, nous les dominants. On est décomplexés. Alors, on descend dans la rue pour dire ce qu’on pense, même si ça ne plaît pas au peuple : il va falloir travailler plus pour consommer plus.

Le message est-il bien accueilli ? Au-delà de nos espérances. Surtout en cette période de fêtes de fin d’année ! Réunir les familles et partager des valeurs comme la solidarité ça va bien deux minutes. Essayons plutôt de faire repartir cette croissance en berne. Allons la chercher avec les dents. Notre but est que toutes les familles s’offrent des Iphone 7 le jour de Noël.

En quoi consistent vos actions ? On descend dans les rues de Lille, Cannes ou Paris et on se prosterne  devant le Saint McDonald’s. Nous prions, nous chantons Croissance revient ! ou La Marchandaise, notre hymne officiel. Nous réservons d’ailleurs notre prochaine grand-messe au magasin Apple à Lille*. Et le jour du Téléthon nous organisons le Téléthune.

Et comment peut-on rejoindre votre église ? Sur une simple souscription de 15 000€. On tient à ce que les gens s’endettent.

Vous vous êtes présentés aux élections municipales, quel était votre programme pour la ville de Lille ? Raser le Grand Stade tous les cinq ans pour le reconstruire immédiatement, au nom de la Sainte-Croissance. Construire l’aéroport Britney Spears International à la place de Lille Sud puisque les pauvres sont économiquement inutiles. Et un golf 18 trous à Fives. Concernant l’éducation, il faut que les enfants mangent de la nourriture industrielle à chaque repas.

Depuis quand l’église est-elle active ? Depuis 2010, c’est un travail à plein temps. Attention, là je passe du côté obscur de la force… (Il devient sérieux). Il faut écrire des scènes, on a fait deux campagnes municipales, monté un spectacle… On veut mettre en exergue toute forme de domination et d’oppression. Notre Église est un miroir tendu à la société, autant vers les puissants que les consommateurs.

 Qui en sont les membres ? Il y a un groupe solide depuis pas mal de temps, Elena la femme-objet était avec moi dès la création. De temps en temps des gens nous disent « je veux en être ». On a un socle de valeurs et d’idées, on ne fustige personne, à part les riches.

Ce discours décalé pointe donc un problème concret… Oui, je viens du militantisme, de l’« artivisme » et du clown. On a transformé notre engagement en campagne artistique avec un spectacle (Amen ton pèze) et on aimerait toucher des publics différents. Le message passe beaucoup mieux avec l’humour. On allie l’absurdité du rire de résistance au sens profond des idées. Notre société est régie par l’amour du fric, la compétitivité et le productivisme, alors on appuie là où ça fait mal. On se revendique de l’écologie politique radicale. On ne sauvera pas le monde mais on dénonce la farce démocratique.

Certains prennent-ils les choses au premier degré ? Oui et c’est inquiétant, la compréhension de l’humour est un signe de bonne santé dans une société. Pour comprendre notre message, il suffit de retourner tout ce qu’on dit. En  prônant l’ultra-compétition, on dénonce évidemment ce poison qu’on sert aux enfants dès le plus jeune âge.

Vous sentez-vous proches des décroissants ? Oui, et des objecteurs de conscience. On nous taxe parfois d’utopistes alors que l’utopie est de l’autre côté, de ceux qui vantent la croissance infinie dans un monde de ressources finies. Nous sommes pour le progrès mais pas celui qui consiste à asphyxier la planète. Ce qu’on dit, derrière la comédie, c’est sérieux.

On a entendu parler de la cérémonie des Doigts d’or, en quoi ça consiste ? Au mois de janvier on récompense les personnalités qui ont marqué l’année. On a diverses catégories : meilleure discrimination, meilleure multinationale, meilleure loi votée… Le doigt d’or correspond au doigt du capital, qui est un peu notre signe de ralliement.

On a comparé votre action à celle de Coluche… On s’en inspire, bien sûr. On est des bouffons au sens noble du terme, de ceux qui balancent la vérité à la face des puissants. Pour l’instant on est petits, on ne dérange pas trop mais rien ne nous empêche de briguer la présidentielle (rires).

 

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5 commandements


« Résignez-vous ! »
« La culture ça fait mal à la tête. »
« TF1 sur toutes les chaînes. »
« Nous sommes tous des enfants d’héritiers. »
« Les générations futures, elles avaient qu’à être là avant. »

 

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Propos recueillis par Nicolas Pattou & Marie Pons / Photos DR
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