L’Autre de l’art
Interview de Savine Faupin commissaire de l'exposition
Le LaM ouvre une perspective sur les origines de l’art en se tournant vers « l’Autre », celui qui en fait sans le savoir. Par nécessité, de manière spontanée ou compulsive, des anonymes dessinent, sculptent et gravent, parfois toute leur vie. L’accrochage fait la part belle à ces œuvres produites hors cadre, dans la rue, les écoles ou les hôpitaux. Savine Faupin, commissaire de l’exposition, nous invite à porter un Autre regard sur les autres, sur soi et sur le monde.
Qui est cet « autre » de l’art que vous présentez ici ? L’autre est celui que l’on regarde comme un étranger. Et celui-ci reflète une part de nous-mêmes, comme un alter ego : l’autre c’est un peu moi. Ce parcours propose de découvrir différents personnages, les œuvres d’artistes connus ou anonymes, dans des contextes où l’on ne soupçonne pas que l’art puisse exister.
Ces hommes et femmes font-ils de l’art sans le savoir ? On peut se poser la question. Pourquoi à un moment donné quelqu’un s’empare d’un crayon et trace quelque chose ? Augustin Lesage par exemple : il est mineur, et un jour en 1912 il entend des voix lui dire qu’il va devenir peintre. S’il était à côté de nous, il nous dirait sûrement que c’était une obligation, il a simplement répondu aux ordres. Les productions d’anonymes cherchent sans doute à nous transmettre quelque chose de leur vie.
Peut-on aussi parler d’art brut ? Sinon, quelle différence ? Il y a une part d’involontaire dans l’art brut mais chez certains artistes les choses se structurent et s’organisent au fur et à mesure. Prenons Adolf Wölfli. Il dessine et écrit des milliers de pages entre 1899 et 1930. à l’hôpital il fait preuve d’organisation : il assemble ses dessins sous forme de livres, il les range dans des armoires peintes. Manifestement, il cherche à composer une œuvre.
Comment avez-vous conçu le parcours ? Chaque partie de l’exposition – il y en a 5 – est comme une piste ouverte, une proposition. Dès le début on souhaitait parler du regard médical qui peu à peu chemine vers un regard artistique. L’ensemble Anonymes provient de collections asilaires d’Écosse ou de la ville d’Albi. On tenait aussi à accorder une place à la question des origines de l’art, explorée dans la dernière salle, avec des formes d’expressions très anciennes, comme les tracés dans les grottes paléolithiques. On chemine ensuite entre les tracés dans la rue, un dialogue entre des œuvres d’enfants et d’artistes contemporains. L’exposition se constitue comme un cycle, une boucle.
Quel est le point commun entre un graffiti et l’art Gutaï ? Ces œuvres ont quelque chose à se dire. C’est tout l’intérêt d’un projet d’exposition : instaurer un dialogue à partir d’une matière qui semble très hétérogène. Cela permet d’exposer un dessin de Picasso à côté d’un dessin d’enfant, par exemple.
L’exposition s’articule-t-elle autour d’époques marquantes ? Oui, d’une part le début du XXe siècle : les artistes fauves peignent d’une façon inédite, s’intéressent à des formes d’art primitif. Quelque chose change alors dans le regard des médecins sur les productions de leurs patients. La Seconde Guerre mondiale entraîne aussi un bouleversement. Des artistes commencent à travailler des matériaux pauvres, au Japon les artistes du mouvement Gutaï font feu de tout bois et se jettent sur les toiles.
Qui s’intéresse en premier à ces formes d’art autres ? Les médecins, Benjamin Pailhas à Albi ou encore Auguste Marie qui a ouvert un musée à l’hôpital de Villejuif en 1905. Puis les artistes eux-mêmes. André Breton, étudiant en psychiatrie pendant la Première Guerre mondiale, s’est intéressé aux écrits des soldats revenus du front complètement perturbés. Les surréalistes vont jouer un rôle important. Ils ne séparent pas cette production « autre » du reste de l’art. Cette pratique les intéresse car elle traduit la façon dont l’inconscient s’exprime.
Votre accrochage revient-il sur les sources de la création ? Oui, ce thème court à travers l’exposition. Notamment avec Picasso qui observe les dessins d’enfants à la recherche d’un geste spontané. Cette exposition oblige aussi à accepter qu’il y a des choses qu’on ne saura jamais. L’important est de regarder ces œuvres, sans forcément connaître leur auteur et leur contexte. C’est une invitation à regarder tout autour de soi avec un œil neuf.
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Œuvres commentées
Assemblage anonyme, 1900-1910 env., coll. Benjamin Pailhas, Fondation Bon Sauveur d’Alby © DR
“C’est un petit objet sans doute fait par Jean Loubressanes, un patient du docteur Benjamin Pailhas. On sait très peu de choses sur lui si ce n’est qu’il avait l’habitude de tailler de petits objets, des cailloux, des bouts de murs à l’hôpital. Cet objet est surprenant, on ne voit pas tout de suite le petit personnage taillé au centre. Il est entouré de beaucoup de ficelle, de raphia, de feuilles de maïs, et une petite baguette de bois assemble le tout. Apparemment il portait ces objets sur lui, comme une broche. Souvent les patients modifiaient leur tenue et créaient des objets pour se protéger. C’est entre l’objet rituel , l’objet du quotidien et l’objet plastique que l’on voit comme une œuvre d’art mais qui sans doute n’a pas été créé comme ça.”
Émile Josome Hodinos, Bonneterie pour dames, avant 1897 © Photo P. Bernard
“Hodinos, de son vrai nom Joseph Ménétrier est interné à Ville- Evrard juste après la Commune (1871). L’événement bouleverse sa vie. Il était graveur de médaille et à partir de ce moment il ne touche plus jamais à ses instruments. A la place il se met à dessiner à la mine de plomb, des milliers de médailles sur des morceaux de papier récupérés. Et il change de nom, se forge un pseudonyme, devient Émile Josome Hodinos, qui voudrait dire « fils de personne ». Il raconte une histoire à travers ses médailles qui sont réunies sous forme d’albums.”
Marguerite Duras, Les mains négatives, 1978, film 35mm transféré sur VHS, 18 min.
” Les mains négatives, c’est une sorte de résumé de toute l’exposition. Duras a vu des mains tracées sur les parois d’une grotte et ça l’a tellement interpellé qu’elle a écrit un texte, qu’elle a ensuite associé à ces images prises dans les rues de Paris, la nuit et au petit matin. On voit peu à peu des formes surgir, des personnages apparaître… C’est vraiment une interrogation sur la naissance de l’art, à quel moment on décide que ça en est ou non.”
Site internet : http://www.musee-lam.fr/
Collections permanentes accessibles du mardi au dimanche de 10 h à 18 h.
Exposition temporaire et collections permanentes : 10 / 7 €
Collections permanentes : 7 / 5 €
Soirée Graphzines le 4.12, 18h>22h30, Gratuit, www.musee-lam.fr