Anne Ruygt
Plan large sur Lee Miller
C’est l’une des expositions à ne pas manquer en Belgique en ce début d’année. À Anvers, le FOMU consacre une grande rétrospective à l’œuvre, ô combien vaste et protéiforme, de Lee Miller. De ses débuts de mannequin pour Vogue à ses reportages de guerre, en passant par son apport essentiel au mouvement surréaliste, ce parcours réunit une centaine de photographies de l’artiste américaine, ainsi que nombre d’archives et de documents. Anne Ruygt, l’une des commissaires de cet événement, nous en dit plus.
Comment définiriez-vous Lee Miller ? Que vous inspire-t-elle ? C’était une artiste aux multiples facettes et qui s’est constamment réinventée. Elle fut mannequin, muse des surréalistes, photographe, journaliste, correspondante de guerre. Elle était dotée d’une curiosité insatiable, d’un esprit intrépide et d’un talent pour saisir la beauté et la brutalité du monde. Sa vie a été marquée par le refus de se laisser enfermer dans un seul rôle. Elle inspire la résilience, l’exploration créative et un engagement sans faille à dire la vérité par l’image.
Comment décririez-vous sa photographie ? Elle oscille entre expérimentation surréaliste et réalisme documentaire, mêlant parfois les deux. Son regard surréaliste est évident même dans ses reportages de guerre, où elle capture des compositions saisissantes et des juxtapositions inattendues. De même, ses clichés commerciaux et de mode ont souvent un caractère onirique ou inquiétant. Qu’il s’agisse d’une mise en scène ou des ravages de la guerre, son travail se caractérise par un sens aigu de la composition, un instinct de l’inattendu et une volonté d’expérimenter.
Selon vous, quel fut son apport ? Elle a joué un rôle clé dans l’évolution des techniques photographiques, en particulier la solarisation, qu’elle a découverte lors de ses expériences en chambre noire et qu’elle a ensuite perfectionnée avec Man Ray. Cette méthode, qui inverse les zones claires et sombres, est devenue l’une des caractéristiques de la photographie surréaliste. Au-delà de l’innovation technique, sa plus grande contribution a été sa capacité à repousser les limites de la photographie, en l’utilisant à la fois comme un outil artistique pour remettre en question la perception, et comme un puissant moyen de raconter des histoires, en particulier dans ses reportages de guerre.

Fire Masks, Downshire Hill, London, England, 1941 by Lee Miller © Lee Miller Archives, England 2025. All rights reserved, www.leemiller.co.uk
Sur quels éléments de sa vie et de son œuvre mettez-vous l’accent à Anvers ? Cette rétrospective couvre l’ensemble de la carrière de Lee Miller et présente ses nombreuses évolutions. Elle se concentre sur la manière dont son travail a été perçu par les médias imprimés, qu’il s’agisse de magazines d’avant-garde, de publications de mode ou de reportages en temps de guerre. L’exposition présente ses premières expériences surréalistes, la photographie de mode commerciale et les reportages de guerre révolutionnaires, ainsi que ses derniers projets créatifs. En retraçant sa carrière à travers différents genres et contextes, le parcours offre une vue d’ensemble de son œuvre et de son influence.
Évoquez-vous aussi les expériences traumatisantes de l’artiste, son errance en Europe après la Deuxième Guerre mondiale ? L’exposition n’élude pas les aspects les plus sombres de la vie de Lee Miller, notamment les traumatismes dont elle a été témoin et qu’elle a documentés. Ses photographies des camps de concentration sont par exemple présentées avec un contexte historique et un avertissement sur le contenu. L’exposition aborde également les luttes qu’elle a menées après la guerre et l’exil qu’elle s’est imposée dans le domaine de la photographie. Il s’agit d’un portrait honnête d’une artiste extraordinaire, qui a capturé sans crainte la beauté et les horreurs du monde.
Combien de pièces exposez-vous ? Une centaine de tirages modernes et anciens, ainsi qu’une riche sélection de publications originales et de documents d’archives. Cette combinaison offre une vue d’ensemble du travail de Lee Miller tel qu’il a été présenté à l’origine sous forme imprimée, et permet de comprendre comment ses images ont atteint et influencé le public tout au long de sa carrière.
Comment avez-vous conçu le parcours ? Il est chronologique, structuré autour du travail de Lee Miller dans la presse écrite. L’exposition retrace sa carrière, depuis ses débuts en tant que mannequin jusqu’à ses reportages de guerre révolutionnaires et ses projets créatifs ultérieurs. La scénographie est également soignée : les murs ont la forme de livres ouverts et de grands tirages agrandis illustrent le processus de création et de publication de son travail. La conception architecturale est l’œuvre de Samyra Moumouh et la conception graphique celle d’Hans Gremmen, qui ont tous deux contribué à donner vie au concept en mettant l’accent sur la façon dont les photos de Lee Miller ont été expérimentées à l’origine par le biais de l’impression.
Sur quelles œuvres pourrions-nous attirer l’attention ? Parmi les images les plus marquantes, il y a ses expériences surréalistes avec Man Ray, ses reportages de guerre saisissants (tels que Revenge on Culture et les images des camps de concentration) et ses photographies de mode en temps de guerre, qui mêlent l’élégance de ses sujets aux paysages déchirés par la guerre.
Exposez-vous aussi cette fameuse photo d’elle dans la baignoire d’Hitler ? Oui, il s’agit d’un moment fort et symbolique de sa carrière, qui résume sa présence dans des événements historiques clés. Parmi les autres images importantes, citons aussi ses photographies de Dachau et de Buchenwald…
Finalement, qu’allons-nous découvrir sur elle que nous ne savions pas déjà ? Cette exposition offre un nouvel éclairage sur la manière dont le travail de Miller a été perçu par le public contemporain, principalement par le biais de la presse écrite. Elle révèle la tension entre ses clichés artistiques, commerciales et documentaires, et montre comment elle a navigué dans différents mondes tout en restant fidèle à sa vision. En se concentrant sur son héritage publié, l’exposition ne met pas seulement en lumière son impact durable sur l’histoire de la photographie, mais livre également un aperçu de la fabrication de ses images emblématiques et de la manière dont elles ont été diffusées.



