Tristan et Isolde
Mots pour maux
Cinq questions à Caroline Sonrier et Cornelius MeisterLa dernière fois que Tristan et Isolde, de Richard Wagner, fut présenté dans la capitale des Flandres, c’était en mars 1944, dans un opéra lillois alors rebaptisé… Deutsches Theater. Autant dire que cette production, mise en scène par Tiago Rodrigues, est un événement à ne pas manquer. Caroline Sonrier, directrice de l’Opéra de Lille, et le chef allemand Cornelius Meister, qui assure la direction musicale de ce sommet du romantisme, nous en dévoile les ressorts.
Pourquoi les mises en scène des œuvres de Wagner sont-elles si rares ?
Caroline Sonrier : Parce qu’elles nécessitent d’importants moyens artistiques et financiers, avec de grands orchestres qui les rendent difficiles à produire et programmer. Depuis sa réouverture après travaux en 2004, l’Opéra de Lille n’a ainsi proposé de Wagner que Le Vaisseau fantôme, en 2017. Ce Tristan et Isolde, co-réalisé avec l’Opéra de Nancy qui l’a créé en janvier 2023, constitue donc l’événement de notre saison ! D’autant qu’il s’agit d’une toute nouvelle distribution autour de l’Isolde déjà incarnée par Annemarie Kremer. Concernant tous les autres personnages, il s’agit d’une prise de rôle pour les chanteurs, c’est-à-dire la première fois qu’ils interprètent de grands rôles.
En quoi cette œuvre de Wagner est-elle mythique ?
Caroline Sonrier : Elle réunit une partition musicale phénoménale, par sa densité et son intensité, et un texte très présent. Les mots et les notes sont à égalité dans cette œuvre, qui a pour ambition de se situer à la fois dans l’opéra et le théâtre. Elle met en scène une haine viscérale entre Tristan et Isolde à laquelle succède un amour intense qui s’achève par une double tragédie, celle de leur mort…
Que représente Tristan et Isolde pour vous, Cornelius ?
Cornelius Meister : J’ai un rapport très particulier avec cette œuvre, que j’ai travaillée à l’Opéra de Stuttgart durant la Covid-19, où évidemment il était impossible de la jouer en public. Mais on a tout de même réussi à le faire par sections, pour des petits groupes restreints de quatre personnes. Pour le final de la mort d’Isolde, que j’interprétais au piano, nous avons eu la chance de le répéter douze fois d’affilée ! C’est aussi la singularité de ma relation à cette œuvre prévue pour être jouée devant des milliers de spectateurs, mais que j’ai aussi dirigée dans une proximité exceptionnelle. Mon ambition à Lille est de réussir à reproduire cette relation intimiste avec chaque membre du public.
Qu’en est-il de mise en scène de Tiago Rodrigues ?
Caroline Sonrier : Elle est minimaliste, avec une économie et une simplicité dans les mouvements des chanteurs. Cela crée une forte intensité, condensée dans le même décor de salle d’archives / bibliothèque durant les trois actes. Tiago Rodrigues a choisi de se mettre à distance pour ne pas tomber dans le mélodrame, afin de souligner la transgression de cette histoire d’amour tragique où Tristan et Isolde refusent la place que le Royaume leur impose (l’union de la princesse Isolde, fille du roi d’Irlande, avec Marke, le roi de Cornouailles, pour sceller la paix entre les deux pays). C’est la dimension politique de ce mariage décidé par le pouvoir, et radicalement remis en cause par l’amour entre Tristan et Isolde, que Tiago Rodrigues veut traduire.
Il s’est aussi largement réapproprié l’œuvre, n’est-ce pas ?
Caroline Sonrier : Oui, il a remplacé le dispositif habituel de sur-titrage par un texte qu’il a écrit. Celui-ci est reproduit sur 1 000 pancartes blanches manipulées par le duo de danseurs-chorégraphes Sofia Dias et Vitor Roriz durant le spectacle. Ils sont comme deux observateurs de la légende se jouant sur scène, qu’ils nous transmettent par le texte et le mouvement, mais sans parole. Ces panneaux contribuent ainsi à dessiner l’espace et permettent au public de porter un autre regard sur l’opéra, de le connecter de manière plus sensible et empathique à la musique, à la tragédie se jouant sur le plateau.
Cornelius Meister : Il y a évidemment de nombreuses façons d’aborder et de diriger Tristan et Isolde, en fonction des interprètes, des musiciens et de la mise en scène. L’une des originalités de cette version est l’ajout de ce duo de danseurs. Il en modifie l’approche et, contrairement à d’autres chefs, davantage focalisés sur la seule partition, je suis galvanisé et très curieux de tout ce qu’il va se passer autour de la musique !