Refugee Food Festival
Table ouverte
Créé en 2016 par Louis Martin et Marine Mandrila, deux globe-trotters amateurs de bonne chère, le Refugee Food Festival remet le couvert pour une huitième édition. Fin juin, les restaurants de plus d’une dizaine de villes entre la France et la Suisse (dont Lille) ouvrent leurs portes à des réfugiés, les laissant concocter le menu de leur choix. Un premier pas vers l’insertion pour les uns, une découverte des saveurs du monde pour les autres, et un grand moment de partage pour tous. Fanny Borrot, la responsable de ce festival pas comme les autres, nous en dit plus.
Quelle est la genèse du festival ? Le projet a démarré en 2016, à l’initiative de Louis Martin et Marine Mandrila. On était en plein cœur d’une crise migratoire dramatique, avec un afflux d’exilés en Europe. Pour prendre le contrepied des discours misérabilistes, voire anxiogènes, ils ont lancé l’association. L’idée est d’accueillir ces personnes d’une manière digne, de montrer au grand public qu’ils sont nos semblables mais aussi de révéler leur talent. Pour cela on passe par la cuisine, parce qu’on y est tous sensibles.
Quel est le principe ? C’est une initiative citoyenne reposant sur des collaborations entre restaurateurs locaux et exilés. Ce festival culinaire a lieu tous les ans, autour du 20 juin, une date symbolique car c’est la journée mondiale des réfugiés.
Quels sont vos objectifs ? Premièrement, sensibiliser le grand public et changer les regards sur les réfugiés. Deuxièmement, favoriser l’insertion de ces personnes dans la restauration et l’hôtellerie, milieux qu’on sait en tension. Pour beaucoup d’exilés, le festival constitue la première expérience professionnelle en France. Enfin, notre but est surtout de rassembler les cultures. On utilise la table comme un lieu de partage, de paix et de rencontre.
La cuisine serait donc un langage universel ? Absolument. Il ne faut pas oublier que ces personnes viennent de pays lointains, d’Afghanistan, du Soudan ou de Syrie. Depuis le début du festival en 2016, une bonne cinquantaine de nationalités a été représentée. Ces gens n’ont jamais parlé français de leur vie. Ils débarquent ici, obtiennent l’asile, une protection… Débute alors tout un parcours d’apprentissage. C’est souvent compliqué pour eux. Grâce à la cuisine, on partage des valeurs. Il y a aussi quelque chose d’intime dans cet acte, et il n’y a rien de mieux pour comprendre l’autre que de goûter ses plats.
Concrètement, comment se déroule la collaboration entre restaurateurs et réfugiés ? Ils travaillent sur un menu proposé uniquement pendant le festival. La carte habituelle s’efface pour laisser place à cette rencontre. Tout dépend de la disponibilité des restaurateurs, c’est souvent un “one shot” mais certains acceptent parfois de collaborer avec un cuisinier réfugié durant plusieurs jours, voire toute la semaine. Les réfugiés sont déclarés et rémunérés par les restaurants avec lesquels ils collaborent. C’est important car l’intégration passe aussi par un accès à l’emploi, et donc par un salaire juste.
Comment les participants sont-ils choisis ? C’est d’abord la motivation et l’envie de partager qui comptent. Le reste importe peu. La langue peut parfois être un frein mais désormais on s’entoure de traducteurs. Nous sommes aussi suivis et conseillés par un énorme écosystème associatif (Singa, France Terre d’Asile, Aurore…). Ces structures nous connaissent et nous recommandent auprès des réfugiés. Depuis huit éditions maintenant, nous avons développé une certaine notoriété.
Quels types d’établissements participent à ce festival ? Au-delà des restaurateurs, depuis l’an dernier nous proposons également des collaborations avec des artisans : pâtissiers, boulangers, bouchers, chocolatiers… et peut-être des brasseurs cette année ! Il est tout aussi intéressant de découvrir comment on fait du fromage en Afghanistan ou du pain en Ukraine.
Combien de partenaires comptez-vous ? Pour cette édition, on accueille une centaine de réfugiés et on travaille avec une centaine de restaurateurs et une quinzaine d’artisans, dans treize villes en France et en Suisse. Cela va de la cantine de quartier proposant un plat du jour pour 10 euros, jusqu’au restaurant étoilé. On veut sensibiliser le plus grand nombre. On essaie aussi d’amener des tiers lieux comme La Friche Gourmande, Chaud Bouillon, ou Grand Scène à Lille, pour des soirées d’ouverture ou de clôture.
Avez-vous des exemples de parcours de réfugiés à nous donner, suite à leur participation à ce festival ? Citons Bassem Ataya, qui a participé au festival dès 2017, à Lille. Ce n’était alors pas du tout un chef professionnel, comme beaucoup de participants d’ailleurs. Pour lui, la cuisine est avant tout ce qui le lie à la culture syrienne, à ses souvenirs, sa mère. Il a participé à plusieurs éditions et, au fur et à mesure, a gagné en confiance en préparant des recettes familiales, en apprenant sur le tas aussi. Il a voulu en faire son métier et une opportunité s’est présentée. Il a ouvert son corner à Grand Scène, un food-court lillois, et ça fait maintenant plusieurs années que l’aventure Ataya se développe. Il pense même à ouvrir un restaurant ! C’est l’une de nos belles histoires.
Refugee Food ce n’est pas simplement un festival, vous menez aussi d’autres actions, n’est-ce pas ? En effet ! Toute l’année nous organisons dans différentes villes des ateliers de cuisine avec des réfugiés, qui deviennent animateurs. Cela leur permet de transmettre leur savoir-faire et de leur donner confiance ! On a aussi un autre projet, semblable au festival, nommé Education et mené dans les collèges. Réfugiés et collégiens se rencontrent, cuisinent ensemble et échangent un repas. Depuis 2018, nous avons pignon sur rue dans Paris avec deux établissements : La Résidence, un restaurant d’insertion, et La Cantine des arbustes, un réfectoire solidaire. Plusieurs brigades de cuisiniers réfugiés sont formés et accompagnés pour accéder à un emploi pérenne dans la restauration. On propose aussi des formations professionnelles diplômantes (Tournesol), pour devenir commis de cuisine. Aujourd’hui, on a formé un peu plus de 300 réfugiés.