Denis Bajram
Goldorak contre-attaque
C’est un monument de la pop culture, un dessin animé qui a captivé des millions de spectateurs à travers le monde. Près de 40 ans après la diffusion de la dernière de ses 74 aventures, Goldorak est de retour sur Terre ! Et c’est à cinq Français nostalgiques que l’on doit la résurrection du robot géant créé par le Japonais Gō Nagai. La Maison de la culture d’Amiens retrace ce défi artistique à travers une exposition en taille golgoth. L’auteur et dessinateur Denis Bajram (Cryozone, Universal War) nous raconte les coulisses de cet événement. Vous connaissez la formule : métamorphose et… Goldorak go !
Que représente Goldorak pour vous ? Petit, je regardais les épisodes en cachette à la télé chez un copain, car je n’avais pas le droit chez moi. Je l’aimais tellement que j’ai créé une petite histoire originale de 20 pages, pour prolonger le plaisir. C’est ma première BD, j’avais 10 ans. C’est donc le héros de mon enfance, et il marque mes débuts d’auteur.
Plus largement, quelle empreinte laisse-t-il ? C’est vraiment l’ambassadeur de la culture pop japonaise en France, annonçant toutes les autres séries. À cette époque, on ne diffusait que des dessins animés pour enfants. Celui-ci touchait les ados, d’un seul coup ça devenait très sérieux. Il n’y avait pas beaucoup de chaînes dans les années 1980. Alors, c’est vite devenu le sujet principal de conversation dans la cour d’école.
Quand et comment ce projet de résurrection de Goldorak est-il né ? La directrice des éditions Kana, Christel Hoolans, souhaitait publier des versions françaises de personnages de mangas des années 1970 et 80. Elle en a parlé à Xavier Dorison, l’un des grands scénaristes de la BD en France, lors d’un repas à Angoulême en 2016, et il a tout de suite insisté sur Goldorak. Il fallait un dessinateur, alors il m’a attrapé dans le festival, et voilà !
Comment avez-vous obtenu l’autorisation de Gō Nagai ? Dès le lundi suivant, on lui a envoyé un dossier, présentant le synopsis, des planches, le design des personnages… Le Japon est un pays très protocolaire mais, contre toute attente, Gō Nagai a donné son feu vert très rapidement, en deux semaines, ce qui traduit un enthousiasme total !
Quelle histoire avez-vous décidé de raconter ? C’est une suite. Le récit se déroule plusieurs années après la disparition de Goldorak, disons de nos jours. Les personnages ont mûri, retrouvé des vies normales. Cette cruelle absence est la base du récit. Le robot géant a quitté notre planète comme nos vies de spectateurs. Il faut rappeler que, pour toute une génération, la diffusion s’est arrêtée nette et, pour des problèmes de droits, il n’y a quasiment pas eu de DVD. Dans le dernier épisode de la série, Actarus et sa soeur repartent sur leur planète d’origine, et nous laissent en plan sur Terre ! Alcor pleure, comme tous les gamins à l’époque devant leur écran.
Sans trop en révéler, l’histoire semble plus adulte, notamment dans la psychologie des personnages. On retrouve par exemple un Actarus rongé par la culpabilité…Parce qu’on a grandi nous aussi, et on a compris que tout ne pouvait pas uniquement se régler à coups de fulguropoing.
Les forces de Véga nourrissent elles aussi des doutes quant à la nouvelle guerre qu’elles mènent… Oui, mais la série originale luttait déjà contre le manichéisme. Au tout début, il y avait les méchants et les gentils, puis les personnages ont commencé à se poser des questions. Ces nuances de gris ont toujours coloré Goldorak, on a juste été un peu plus loin. À bien y regarder c’est une série étonnante, complexe et très moderne pour l’époque, que ce soit en termes d’écologie et même d’égalité des sexes : les femmes pilotent des vaisseaux comme les gars, ce qui était plutôt rare. On n’a pas eu besoin de forcer le trait pour rester actuel.
Concernant l’adaptation graphique, s’agissait-il de respecter au mieux le style de Gō Nagai ? De ce point de vue, Goldorak a un côté un peu “vieillot”, il a été dessiné dans les années 1970, le design date d’avant Star Wars. On y trouve des soucoupes volantes… En même temps, pour nous, c’est une religion, un personnage sacré, donc il ne fallait rien changer tout en modernisant !
Comment vous y êtes-vous pris ? C’est passé par la mise en scène, le cadrage ou l’encrage. Par exemple, on a rajouté des traces d’usure, de salissure sur le robot, le recouvrant d’une couche de fatigue comme s’il était restée à la cave. La barbe d’Actarus en est aussi le symbole… Finalement, c’est un peu comme dans les western des années 1970 de Sergio Leone, où on a l’impression que les cow-boys sont tous sales. Eh bien nous, on a versé de l’huile et de la poussière sur notre héros, en ajoutant ici et là quelques petits détails plus contemporains, puisés dans Akira ou les Avengers.
Vous êtes connu pour vos récits de SF plutôt réalistes. Etait-ce un défi pour vous d’adopter ce style ? J’étais assez inquiet. Dans l’animation japonaise, la manière dont bougent ou parlent les personnages est vraiment très différente du style franco-belge, et je n’avais pas forcément cette culture. Heureusement, on partage un atelier virtuel sur Internet avec un groupe de copains, et dans celui il y a Brice Cossu, qui maîtrise bien les codes du manga. Il y a aussi Alexis Sentenac, auteur d’une SF moins “sérieuse” que la mienne car ici, on est plus dans la pop, la fantaisie. Typiquement, les extraterrestres avec des oreilles en pointe, ça me fait toujours rire ! Lui les dessine sans problème. L’équipe s’est donc rassemblée comme ça, et chacun a comblé les manques de l’autre.
Gō Nagai vous a-t-il guidé ? Il ne nous a pas aidé, mais a voulu tout voir. Chaque étape a été validée au Japon. On a eu beaucoup de libertés. C’était le deal avec Gō Nagai : que l’on fasse “notre” Goldorak. On le remercie d’ailleurs de nous avoir prêté son jouet !
Et qu’est-ce que ça fait de “jouer”avec Goldorak ? Eh bien à 50 ans, on en a de nouveau 10 ! Beaucoup de lecteurs en dédicace nous ont confié avoir retrouvé leur âme d’enfant. Depuis la sortie du livre, on croise des milliers de gens heureux. Des quadras, des quinquas mais aussi leurs enfants et de jeunes lecteurs de mangas fascinés par l’objet. C’est parfois le premier album en couleur qu’ils achètent.
Combien de temps cette adaptation a-t-elle réclamé ? L’équipe a bossé durant quatre ans. Cumulé, c’est comme si un seul auteur avait oeuvré sept ou huit ans à plein temps.
Y aura-t-il une nouvelle suite ? Non, on a pensé cet album comme un épisode ultime. Et puis, humainement, on a grimpé l’Himalaya ! Travailler à cinq aussi longtemps, sans s’engueuler, alors qu’on passait notre temps à reprendre les dessins des uns et des autres, ce n’est pas rien..
Comment cette exposition à la Maison de la culture d’Amiens est-elle née ? Au départ, elle devait se focaliser sur “ma vie et mon oeuvre”, mais j’ai préféré offrir un grand show consacré à Goldorak, car c’est un personnage très populaire capable d’attirer des gens qui n’ont jamais mis les pieds dans une expo.
Comment l’avez-vous conçue ? Elle est scindée est en deux parties. La première présente mon parcours. On découvre ma première BD sur Goldorak, lorsque j’avais 10 ans, et puis toute ma carrière, jusqu’a cet album. L’expo montre comment un petit garçon devient un auteur de BD professionnel.
Ensuite ? A l’étage, on découvre notre travail sur cette BD. Il n’y a pas de planches originales cette fois car c’est un livre entièrement créé en numérique. Il a donc fallu être malin. Alors, pour parler de ce robot géant, on a choisi d’immerger le public dans de gigantesques images. Il y a par exemple une case qui mesure cinq mètres sur dix ! C’est du très grand spectacle, une exposition à la mesure de notre héros. On trouve aussi des story-boards, les différentes étapes de la conception du scénario… on révèle vraiment comment on crée une BD. J’ai aussi prêté une partie de ma collection personnelle de figurines, de jouets, comme des robots datant des années 1970, de petits trésors…