Mark Jenkins & Sandra Fernandez
Scotchant
Des jambes qui dépassent d’une poubelle, une tête enfoncée dans un mur, des silhouettes suspendues sur des lampadaires voire dans les airs comme à Roubaix, sur le toit de la Condition Publique… Bienvenue dans le monde déroutant de Mark Jenkins et Sandra Fernandez. Depuis 2006, ces Américains installent leurs sculptures hyperréalistes dans l’espace public, aux quatre coins du globe. Conçues avec du ruban adhésif, ces oeuvres surgissent de manière improbable, et scotchent immanquablement les passants.
Pouvez-vous nous rappeler votre parcours ?
Mark Jenkins : Je n’ai pas suivi de cursus artistique, j’ai étudié la géologie. Je visitais des expositions sans imaginer devenir moi-même un artiste ! Un jour, j’ai commencé à m’amuser avec du scotch, réalisant des moulages avec des objets puis mon propre corps. En les plaçant dans la rue en 2003, les gens ont immédiatement considéré cela comme de l’art, m’invitant à continuer. Deux ans plus tard j’ai rencontré Sandra et depuis on travaille ensemble. On a commencé à habiller ces sculptures, cultivant un style hyperréaliste.
Comment fabriquez-vous ces oeuvres ?
Mark Jenkins : On enveloppe nos modèles avec une pellicule plastique, ensuite on y ajoute du scotch, avant de vêtir l’ensemble. Et le tour est joué !
Sandra Fernandez : On peut réaliser toutes sortes de moulages avec notre méthode. Quand on utilise nos propres corps, les possibilités sont infinies. Il faut quand même être à deux pour concevoir ces moulages. Mark a essayé seul mais c’est très compliqué, on peut rester coincé !
Pourquoi vos personnages n’ont-ils jamais de visage ?
Mark Jenkins : Parce qu’il serait réducteur de leur donner une identité. Et puis c’est difficile de façonner un visage crédible, cela risque d’altérer l’aspect hyperréaliste.
Comment choisissez-vous l’emplacement des sculptures dans la rue ?
Sandra Fernandez : Certains endroits nous attirent pour leur architecture, d’autres à cause d’un détail, comme une boîte aux lettres.
Votre travail comporte-t-il une dimension humoristique ?
Sandra Fernandez : Je vois mal les gens éclater de rire devant nos oeuvres !
Mark Jenkins : Je pense qu’il y a un peu d’humour noir peut-être. Il est vrai qu’on peut rire de choses horribles, pour camoufler sa peur… Notre travail a plutôt tendance à perturber les gens. Imaginez, vous marchez dans la rue et tout d’un coup vous apercevez la silhouette d’un gars qui a la tête dans le mur… Forcément, ça déstabilise ! Un jour, j’ai observé la réaction d’une femme face à l’une de nos sculptures, qui n’ont jamais de visages donc… On aurait dit qu’elle avait vu la mort ! Cela dit, nos oeuvres ne sont pas trop effrayantes. Si on voulait obtenir un résultat vraiment horrifique, on utiliserait des effets spéciaux.
Quelles réactions espérez-vous susciter alors ?
Mark Jenkins : Je conçois une oeuvre d’art comme un symbole. Nos sculptures sont comme des points d’interrogation : Pourquoi sont-elles là ? Qu’est-ce que c’est ? Il s’agit de bousculer le train-train quotidien, générer une tension, que les passants lâchent un peu leurs téléphones et se reconnectent à la vie réelle. Les gens regardent la ville autrement lorsqu’ils croisent nos sculptures.
De quels moments de votre carrière seriez-vous les plus fiers ?
Mark Jenkins : Notre œuvre préférée reste celle qui a été exposée à Malmö en Suède. Soit un gars allongé dans l’eau auquel on avait accroché quelques ballons. Les gens étaient surpris, ça a vraiment engendré des interactions particulières, on aurait dit une pièce de théâtre. C’était un peu notre Mona Lisa !
Qu’est-ce qui vous a amené à Roubaix ?
Mark Jenkins : Nous avions déjà travaillé avec Magda Danysz. Quand elle nous a présenté le projet, on a tout de suite adhéré.
Sandra Fernandez : Oui, c’est le bon moment pour parler de la condition des femmes.
Justement, qu’avez-vous à dire sur la place des femmes dans l’espace public ?
Sandra Fernandez : J’ai lu une interview récemment, dans laquelle on demandait à des femmes ce qu’elles feraient si les hommes n’existaient pas le temps d’une journée. Plus de la moitié d’entre elles ont répondu: « Oh, j’irais me promener tout seule dans la rue ! ». Cela en dit long sur notre situation au quotidien !
Mark Jenkins : Les choses sont vraiment en train de changer, on a l’impression d’être dans une bonne dynamique. En même temps, elles sont toujours confrontées à un tas d’injonctions : dans certains pays du monde le port du voile est obligatoire, dans d’autres on s’enorgueillit d’une certaine liberté. Pourtant, dès qu’une femme porte un short on l’accuse de trop montrer son corps, d’aguicher les hommes… Les femmes devraient avoir le droit de s’habiller comme elles le souhaitent, c’est aux hommes de changer leur regard.
Quelles oeuvres dévoilez-vous à Roubaix ?
Mark Jenkins : Nous exposons une sculpture sur le toit de la Condition Publique. Elle est en équilibre, avec un pied dans le vide. On dirait qu’elle va tomber mais elle n’a pas peur, il y a quelque chose de presque féroce ici. J’aime l’assurance qu’elle dégage.
Sandra Fernandez : Oui, elle ressemble à une super-héroïne, sauf qu’elle ne saute pas du toit, elle le grimpe…
Mark Jenkins : Nous dévoilons aussi une autre sculpture. Elle représente deux femmes très proches, liées entre elles par leur chevelure et semblant se chuchoter des choses. L’oeuvre dégage une forme de tendresse, d’intimité. Je la trouve très féminine.
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