Home Exposition Hahaha. L’Humour de l’art

Décalage immédiat

Salvador Dali (apparition de Dali à la télévision) Je suis fou du chocolat Lanvin 1970

Hahaha, où quand l’art se moque de lui-même. Dans quel autre pays, sinon la patrie de Magritte, pouvait-on s’intéresser à ce sujet ? Présentée à l’Ing Art Center de Bruxelles en collaboration avec Kanal et le Centre Pompidou, cette exposition rassemble plus de 200 oeuvres dont le but est avant tout d’amuser, mais pas seulement. Longtemps ignorés, la dérision, la parodie et autres jeux de mots furent en effet prépondérants dans l’histoire de l’art moderne – et ça, ce n’est pas de la blague.

« Rien n’est assez sérieux pour être pris au sérieux », disait Marcel Duchamp. Pourtant, la place de l’humour fut largement occultée dans l’histoire de l’art « par essence synonyme de bon goût, d’élitisme, resitue Anne Petre, responsable de l’art chez ING en Belgique. Durant des siècles, les principaux commanditaires furent tout de même l’Église ou les familles royales… ». Pas de quoi se fendre la pipe, en effet. C’est au milieu du xixe siècle que les zygomatiques commencent à tressaillir, avec l’avènement de la presse illustrée. Des caricaturistes comme Daumier vont alors s’en prendre au petit monde fermé des “Salons”. Ils tournent en dérision oeuvres, artistes ou collectionneurs et permettent de populariser ce domaine réservé. C’est aussi tout l’enjeu de cette exposition, réunissant quelques francs-tireurs, de Magritte à Picabia, en passant par Wim Delvoye ou Jacques Charlier.

Pipi, caca

Parmi eux, Marcel Duchamp fait figure de totem, excellant dans des calembours que n’auraient pas reniés les Nuls, à l’instar de cette fausse publicité pour le parfum Belle Haleine. Eau de voilette. On doit surtout au Français le canular le plus célèbre de tous les temps. En 1917, le jury de la Société des artistes indépendants de New York commet l’imprudence de ne refuser aucune oeuvre qui lui sera soumise. Duchamp lui envoie un urinoir en faïence, acheté dans un magasin de sanitaire et signé “R.Mutt”. L’objet est évidemment recalé… Au-delà de la blague, le trublion échafaude ici les bases de l’art conceptuel. « Il pose la question du beau, qu’il dissocie de l’art, commente Anne Petre. Par ce geste, il privilégie l’idée, le message plutôt que la forme ». On le voit, l’humour permet d’aborder des sujets très sérieux. « C’est une forme de transgression mais aussi le moteur de l’avant-garde ». Dans la même veine scatologique, l’Italien Piero Manzoni produit en 1961 des boîtes de conserve contenant, dit-il, 30 grammes de ses propres excréments et qu’il vend à prix d’or, « interrogeant cette fois la notion de valeur ». Est-ce de l’art ou du cochon ? À vous de voir.


 

Œuvres commentées

Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique

1910, huile sur toile, Mairie de Milly-la-Forêt. © Espace culturel Paul Bédu, Milly-la-Forêt (Essonne)

1910, huile sur toile, Mairie de Milly-la-Forêt. © Espace culturel Paul Bédu, Milly-la-Forêt (Essonne)

Cette huile sur toile fut présentée en 1910 à Paris, au très sérieux Salon des indépendants. « Cette peinture a alors tout pour plaire, resitue Anne Petre. Elle est très avant-gardiste, colorée, évoquant le postimpressionnisme, voire le fauvisme ». Mais qui est donc son auteur, le mystérieux Joachim Raphaël Boronali ? Eh bien… un âne. Plus précisément le dénommé “Lolo”, mascotte du cabaret Le Lapin agile à Montmartre. Dans les faits, un petit groupe de blagueurs a fixé un pinceau sur la queue de l’animal. « C’est l’un des premiers canulars de l’histoire de l’art, et il entraîne son lot de questions : Est-ce une oeuvre ? Qui est l’auteur ? L’âne ? Celui qui a eu l’idée ? ». Une chose reste sûre : plus d’un siècle après, le tableau est toujours aussi poilant.

 

La Vénus d’Amersfoort

Marcel Mariën, La Vénus d'Amersfoort, 1982, plâtre peint, La Louvière, Collection Province de Hainaut © SABAM Belgium 2021

Marcel Mariën, La Vénus d’Amersfoort, 1982, plâtre peint, La Louvière, Collection Province de Hainaut © SABAM Belgium 2021

Connaissiez-vous Marcel Mariën ? On doit à ce surréaliste belge quelques aphorismes imparables comme « les cannibales n’ont pas de cimetière ». Et donc ce plâtre peint. Intitulé La Vénus d’Amersfoort, celui-ci marque la rencontre improbable entre la Vénus de Milo et le sens de la géométrie et des aplats colorés de Mondrian (né à Amersfoort). Cette “Mondrianité” figure parmi d’autres parodies d’oeuvres du Hollandais. Son style, facile à reproduire (même sur des meubles ou des bouteilles de shampoing !) est tourné en dérision par nombre d’artistes, d’Ernest T. à Sylvie Fleury, qui interrogent les notions d’authenticité et de créativité. « On peut y voir une critique mais aussi un hommage », commente Anne Petre. Qui aime bien châtie bien !

Julien Damien // Photo : Salvador Dali (apparition de Dali à la télévision) Je suis fou du chocolat Lanvin 1970
Informations
Bruxelles, ING Art Center
15.09.2021>16.01.2022mer > dim : 10h-18h (ven : 21h), 12 > 2€ (gratuit -18 ans)
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