Fernando Botero
À fond la forme
Ses personnages aux formes rondes ont fait le tour du globe… Enfin, presque, car jamais Fernando Botero n’avait bénéficié d’une rétrospective en Belgique. C’est désormais le cas. À Mons, le BAM révèle une oeuvre singulière, aux couleurs vives, bien plus complexe qu’il n’y paraît. Ce parcours réunit 130 pièces (dont certaines jamais vues en Europe) et aborde les thèmes chers à l’artiste, comme les natures mortes ou les nus, soit autant de peintures et sculptures nous invitant à déformer notre propre regard sur le monde.
Il fut un temps pas si lointain où la minceur était synonyme de beauté, mais Fernando Botero s’est toujours fichu de cette mode comme d’une guigne. Pour le Colombien, « la sensualité de l’art réside dans l’exaltation du volume ». Ne cherchez donc pas ici les angles ou les lignes effilées. Depuis près de 70 ans, ce peintre et sculpteur représente le monde de façon voluptueuse, que ce soient les hommes, les femmes, les animaux, les paysages ou les natures mortes. « Il applique cette déformation à tous les sujets. Ses oeuvres sont facilement reconnaissables », sourit Cecilia Braschi, la commissaire de cette rétrospective dont l’enjeu est d’aller “au-delà des formes”, pour en reprendre le titre. « Il s’agit de montrer que cette démarche est le fruit d’une longue observation de l’histoire de l’art ».
Une icône pop
La première section révèle ainsi toutes les références ingurgitées par le Sud-Américain : le muralisme mexicain, l’art précolombien mais aussi l’artisanat local ou la Renaissance italienne… Botero est bien plus qu’un “artiste-qui-peintdes- gens-en-gros”, « il réalise le syncrétisme parfait entre l’art populaire et la culture dite “savante”. Il décloisonne les hiérarchies ». C’est ainsi le cas dans cette représentation de cycliste, héros populaire par excellence en Colombie, traité ici comme les peintres de la Renaissance le feraient d’une icône religieuse. On le constate en déambulant dans les salles du BAM, garnies de toiles très imposantes : le Colombien est avant tout un artiste généreux, descendant l’art de son piédestal pour l’offrir au peuple. Son passage à la sculpture est motivé par cette même volonté de démocratisation, souligne Xavier Roland, le directeur du BAM. « Il veut donner plus de son art aux gens, qu’ils puissent tourner autour ou même toucher ses créations », à l’instar de l’immense statue trônant en face de la Grand-Place de Mons.
Échelle de valeurs
Fernando Botero, c’est également un paradoxe : « il est très connu du grand public mais nié par les critiques, les directeurs de musées et les commissaires, car il n’observe pas les codes de l’art moderne du xxe siècle ». Pourtant, son travail ne manque pas de subtilité. « Il est souvent dit que c’est le peintre du gigantisme, mais il serait plutôt miniaturiste, tant l’attention portée aux détails, aux petits éléments constituant ses compostions, est grande », analyse Cecilia Braschi. L’homme joue avec les échelles comme peu d’autres. En témoigne cette grosse poire juteuse occupant la totalité du tableau, et dont l’effet de monumentalité est rendu par la présence d’un tout petit vers, grignotant doucement le fruit, nous signifiant au passage : oui, la vie est belle et juteuse, mais la mort guette toujours… Si son oeuvre est souvent synonyme de joie, drôle et haute en couleurs, Botero ne se départit jamais d’une douce ironie, voire d’une violente critique. Par exemple lorsqu’il dénonce avec les mêmes rondeurs les tortures infligées par l’armée américaine aux détenus de la prison irakienne d’Abou Ghraib, entre 2003 et 2004 – oui, c’est gonflé.
Œuvre commentée par Cecilia Braschi, commissaire de l’exposition
Nature morte à la mandoline
« Le style si particulier de Botero est né en 1956 avec cette toile. Il représente par erreur le trou sonore de cette mandoline de façon trop petite et se rend compte, par contraste, que cela offre une allure monumentale à l’instrument. Il comprend alors que l’art n’est que déformation, ici les volumes évoluent grâce à des jeux d’échelle entre différents éléments du tableau. Il appliquera ensuite cette technique à toutes ses compositions, avec la conscience que le but de la peinture n’est pas de représenter la réalité telle qu’elle est, mais d’en créer une autre : celle de l’artiste ».
Œuvre commentée par Xavier Roland, directeur du BAM
L’Apothéose de Ramón Hoyos
« Cette œuvre est très importante dans la notoriété de Fernando Botero, c’est pour lui sa version du pop art colombien. Dans cette toile datant de 1959, il sacralise la figure d’un cycliste alors très connu, en rapprochant l’imagerie qu’en donnent les journaux avec les codes picturaux typiques de la Renaissance italienne : la composition est pyramidale, le héros est triomphant et à ses pieds sont enchevêtrés des personnages endormis, comme en dévotion. Il intègre donc une icône populaire dans une imagerie chrétienne, tout aussi importante dans son pays où la religion est prégnante ».