Carl de Moncharline
Retient la nuit
Faut-il remonter aux années 1980 et à la déferlante New Beat pour s’en convaincre ? Au plat pays, la “nightlife” comme on dit ici, est un patrimoine national. Et compte son lot de figures tutélaires. Parmi elles, Carl de Moncharline. Du Mirano au Fuse, en passant par le Who’s Who’s Land, l’homme aux grosses lunettes est une institution de la nuit à lui tout seul. Mais aujourd’hui, il n’a plus envie de rigoler… et intente une action en justice contre l’État belge et sa gestion de la crise sanitaire. Rencontre avec un dirigeant motivé, où l’on parlera de machines magiques et de Harry Potter.
Dans sa maison de la banlieue chic de Bruxelles, il dit « ne pas être à plaindre », tout en ayant l’impression d’avoir « un bracelet électronique à la cheville ». Pour cause, son « dernier joujou », l’Impérial Premium Bar Brussels, est toujours fermé et, comme pour tant d’autres, ses journées sont parfois longues. Sa liberté de parole, elle, demeure intacte. « Force est de constater qu’en Belgique comme en France, le clubbing et plus largement la culture sont abandonnés, réduits à néant », déplore Carl de Moncharline. Difficile d’obtenir des chiffres, « car la Belgique est un capharnaüm sans nom, écartelée entre quatre régions », mais les dégâts sont visibles. Citons en juillet 2020 la fermeture définitive du Fformatt, installé dans un parking souterrain près de la Bourse, à Bruxelles. « Et il y en aura d’autres… ». Le milieu est-il soutenu par l’État ? Oui, mais les aides sont inintelligibles, car régionalisées. « Par exemple, j’ai un ami qui a une chaîne de restaurants. Pour celui à Genk en Flandres, il a reçu 58 000 euros, pour celui de Soignies en Wallonie 10 000 et pour Bruxelles 7 000… Je vous laisse apprécier l’écart. C’est un sacré bordel », explique le Bruxellois, qui craint à terme le creusement les inégalités au sein du Royaume. En attendant, il fustige « l’incompétence chronique de nos gouvernants ».
Mauvaise piste
Carl de Moncharline n’a en effet pas de mots assez durs pour qualifier la stratégie de la Belgique (et d’autres) pour contrer le funeste Covid. La vaccination ? Il n’est pas contre mais, selon lui, cela ne suffira pas à court terme. « On nous joue le coup de Harry Potter qui, avec son vaccin magique, va tous nous sauver ». À la mise sous cloche, le Bruxellois oppose plutôt une « trithérapie ». « En complément de la vaccination, il faut compter sur l’immunité collective, en protégeant nos aînés et les personnes les plus fragiles, et puis généraliser les purificateurs d’air. Ces machines tuent tous les pathogènes ! Ils nous permettraient de rouvrir nos bars ou boîtes ». Ces appareils germicides équipent déjà le métro londonien et le Palais du Heysel, mais leur efficacité contre le coronavirus fait encore débat.
Devant la justice
Le serial clubbeur fait partie de la Brussels By Night Federation, lancée par une autre figure des nuits belges, Lorenzo Serra (le boss du Listen! Festival, entre autres) mais aussi de la Fedcaf (la Fédération de cafés de Belgique) dont il est le représentant. Comme d’autres, il a manifesté pour la sortie de ce blackout. « Mais ça reste de la poésie », regrette-t-il. Alors, en septembre dernier, il est passé à l’action… et a attaqué l’État belge en justice. Le motif ? Il estime que ses décisions violent la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), la constitution et les lois belges, notamment en matière de liberté individuelle, de droit au travail et de liberté de commerce et d’industrie. Notre oiseau de nuit va-t- il libérer le plat pays comme il a enflammé les pistes ? Personne ne connaît la chute de cette histoire belge.