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Liberté de pousser

©Le Sens du Poil

Le féminisme c’est 365 jours par an ! Difficile de croire que l’égalité entre hommes et femmes se soit désormais imposée partout.
Des combats restent à mener, mais comment porter la parole féministe ? On se souvient des militantes du Sens du Poil (LM n° 158 – janvier 2020)

L’épilation féminine serait-elle un diktat ? Vaste question, à laquelle répondent cinq étudiantes pas franchement rasoirs de l’Institut des Hautes études des Communications Sociales de Bruxelles. Il y a un peu plus d’un an, Sophia Bouhon, Alice Chemais, Margot Foubert, Charlotte Houben et Laure Marlière ont créé un compte Instagram magnifiant la pilosité de ces dames, dans tous les recoins de leur anatomie : sous les aisselles, le nez, sur (et entre) les jambes, autour des tétons… En novembre dernier, elles lançaient même une web-série documentaire. Mais pourquoi ? Entretien avec Margot, une nana au poil.

Quand et comment Le Sens du poil est-il né ? C’est notre projet de fin d’étude, d’ailleurs évalué fin janvier. On est un peu les cinq féministes de la promotion, et on souhaitait dénoncer les stéréotypes de genre. Lorsqu’Alice a insisté sur l’idée des poils, on a d’abord trouvé ça bizarre. Mais en l’évoquant autour de nous, on a mesuré l’importance du sujet. Notre compte Instagram le démontre avec près de 14 200 followers. Aujourd’hui, ce projet a largement dépassé le cadre scolaire.

Quel est votre propos ? Notre campagne dédiabolise les poils des femmes. Notre credo est : faites ce que vous voulez de votre corps. Acceptez-le avec ses poils ou continuez à l’épiler, mais surtout pas pour les autres.

Peut-on qualifier votre démarche de féministe ? Oui, car elle montre des femmes refusant les diktats et les aide à s’accepter, donc à s’aimer.

Pourquoi cette pilosité mérite-t-elle d’être défendue ? Parce qu’elle est difficilement tolérée dans notre société, contrairement à la pilosité masculine. Cela traduit une espèce de contrôle absolu du corps de la femme, lequel doit être lisse, mince, blanc aussi, car on voit très peu de modèles noires… Tout cela répond à certains canons. Voyez toutes ces pubs pour les parfums avec ces filles à moitié nues et retouchées (rires). On voulait démonter ces standards, montrer les femmes telles qu’elles sont.

©Le Sens du Poil

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Selon vous, l’épilation féminine trahit-elle un impératif ? Oui, c’est une contrainte sociale, une norme. Si tu n’y adhères pas, tu peux essuyer des regards, des remarques, voire des insultes, comme en témoignent certaines de nos modèles. Ces commentaires proviennent parfois d’enfants très jeunes. C’est étonnant de constater à quel point ils ont déjà intégré cette notion… Beaucoup de femmes aussi sont anti-poils, et très virulentes, ça pose question.

Plus personnellement, vous épilez-vous ? Non, car il n’y a aucune raison que la femme s’épile et pas l’homme. Ensuite, ce n’est pas forcément bon pour le corps. Si les poils sont là, il doit y avoir une bonne raison ! Et puis j’ai la flemme…

Quels sont les avantages de cette non-épilation ? On gagne du temps ! Surtout, ça représentait une énorme charge mentale. Je craignais tout le temps qu’on aperçoive mes poils à la piscine ou en short… Aujourd’hui j’accepte mon corps tel qu’il est.

©Le Sens du Poil

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Avez-vous reçu des remarques désagréables ? Non. Elles étaient finalement plus nombreuses quand je me rasais, par rapport aux repousses…

Selon vous, le poil peut-il aussi être esthétique ? Pour les laisser pousser, il faut tout de même atteindre un certain stade d’acceptation. D’ailleurs est-il indispensable de trouver cela beau ? La femme a-t-elle toujours vocation à être belle ? Ne peut-on pas regarder ce poil avec indifférence ?

En attendant, pourquoi est-il considéré comme masculin voire sale ? Si une femme se les laisse pousser, on a tendance à penser qu’elle ne prend pas soin d’elle, ne se lave pas. Et puis il y a un aspect lié au genre : une fille qui ne se rase pas serait masculine voire lesbienne… des raccourcis absurdes. Finalement, ces petits poils sur le corps s’avèrent très politiques, perçus comme militants.

Comptez-vous aussi des soutiens masculins ? Quelques-uns. Certains sont sympas mais un peu à côté de la plaque, soutenant que les femmes poilues sont très sexy. Ce n’est pas le but…

Comment choisissez-vous vos modèles ? Ce sont elles qui viennent à nous. Au sein de notre groupe, Charlotte et Laure prennent les photos car elles adorent ça. Lors des séances nous décidons ensemble des lumières, des poses.

Pourquoi avoir choisi la photo ? Puis la web-série ? La photo est le support idéal pour frapper les esprits. Et Instagram la plateforme incontournable pour valoriser notre démarche. Seulement, les témoignages limités à un nombre de caractères empêchaient d’aller au fond des choses. Voilà pourquoi on a tourné une web-série rapportant l’expérience de nos modèles.

Quels en sont les différents sujets ? On s’intéresse à l’adolescence, la période où les poils apparaissent et les injonctions commencent. On évoque aussi le business du poil, l’investissement en temps et en argent, la pression psychologique… Le dernier épisode focalise sur les poils invisibles, comme la moustache ou ceux autour des tétons, pas réservés aux hommes !

©Le Sens du Poil

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© Elisabeth Blanchet

© Elisabeth Blanchet

Propos recueillis par Cécile Fauré & Julien Damien
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Photo : Dominique Houcmant Goldo