Johan Muyle
Objets retrouvés
Mondialement reconnu, mais trop discret sur ses terres, le Belge Johan Muyle bénéficie enfin d’une grande rétrospective après 35 ans de carrière. Cette trentaine d’œuvres, dont certaines rarement voire jamais montrées, donnent au MACS un air de cabinet de curio- sités, où se télescopent motos, rhinocéros, sculptures antiques revisi- tées, robots… Par le prisme de ses objets, l’artiste liégeois détourne les cultures ou les mythes. Mieux, il souligne les contradictions du monde à travers d’énigmatiques assemblages.
On imagine assez bien l’atelier de Johan Muyle comme celui d’un brocanteur un brin azimuté, amassant çà et là un bazar issu des quatre coins du globe. De cet étrange trésor, il conçoit des sculptures dont lui seul a le secret. Soit des assemblages d’objets hétéroclites souvent animés par de petits moteurs, multimédias, et que n’aurait pas reniés Magritte. Au MACS, on croise par exemple une Harley Davidson (une de ses grandes passions) avec un fémur humain en guise de changement de vitesse, une statue de Lucy (l’australopithèque) coiffée d’un voilier, un tableau du roi Baudouin pleurant des larmes dans une vasque…
Autant d’allégories reflétant notre monde tel qu’il va, raillant les religions, la politique, la société du spectacle ou plus largement notre humaine condition, avec une égale ironie. « Elle nous sauve finalement de la tragédie. C’est une distance, une sorte de sérénité philosophique, commente l’artiste. Et puis je suis Belge, traiter de choses graves sans se prendre au sérieux reste un trait commun de notre culture, avec ses excès comme Adamo qui s’excuse tout le temps. D’une certaine manière, je m’inscris dans les pas de Brueghel ou James Ensor ».
Le Roi par la corne
Ces deux légendes du plat-pays (pas les moins piquantes) auraient sans doute apprécié L’Impossibilité de régner, représentant un rhinocéros taxidermisé et dépourvu de corne, que l’animal a brisé en la frottant contre sa cage. Placé sur des roulettes, il ressemble à un monstrueux jouet. L’œuvre a été conçue en 1990. A cette époque le roi Baudouin (encore lui !) refuse de signer la loi dépénalisant l’avortement. Le gouvernement décide brièvement de placer ses pouvoirs entre parenthèses. De cet épisode, Johan Muyle a perçu « une connexion » et signé une parabole acérée de l’impuissance de l’autorité…
Parmi la trentaine de pièces présentées au MACS citons aussi AK, soit une Kalachnikov reliée à un écran. Celui-ci diffuse un dessin animé : Le Joueur de flûte de Hamelin, dans lequel un musicien libère une ville de ses rats grâce à des mélodies envoûtantes. Les notables refusant de le payer, il emmène les bambins. En pressant un bouton sur l’arme, le visiteur active un Mosquito, appareil diffusant un son strident seulement perceptible par les plus jeunes, donc destiné à les éloigner. L’écran change alors de programme, et diffuse un documentaire sur les enfants-soldats. Plus que jamais, c’est le spectateur qui fait ici l’œuvre.
Johan Muyle est né en 1956 à Charleroi, dans une famille d’électriciens. Rien ne le prédestinait à embrasser la carrière d’artiste – « si ce n’est tous ces bidules électroniques et mécaniques au milieu desquels j’ai grandi ». Il fut d’abord musicien avant de préférer la solitude de l’atelier du sculpteur, et commence à voyager dans les années 1990. On l’a vu à Kinshasa collaborer avec des artisans de rue, travailler en Inde avec les derniers peintres affichistes (jusqu’à la conception d’une gigantesque fresque animée à la gare du Nord de Bruxelles en 2003), désosser la contre-culture des bikers américains… Intitulée No Room for Regrets (« en écho à un morceau d’Amy Winehouse ») cette exposition regarde 35 ans de création iconoclaste dans le rétroviseur, tout en allant de l’avant. Pour preuve cette installation monumentale façonnée pour l’occasion, mais dont notre interlocuteur préfère réserver la surprise. Disons qu’il y sera question de cinéma, d’Alice aux pays des merveilles, de notre rapport aux images et de caverne platonicienne « où l’on prend pour réalité l’ombre de nos objets ». Les mythes n’ont qu’à bien se tenir.
Site internet : http://www.mac-s.be
Ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 h, à l’exception des périodes de montage et démontage d'exposition.