Pologne
Etat de grâce
La Pologne et les Hauts-de-France partagent une grande histoire. Le 3 septembre 1919, la convention entre Paris et Varsovie « relative à l’émigration et à l’immigration » favorisait l’arrivée de près de 300 000 travailleurs, en particulier dans le bassin minier. A l’occasion de ce centenaire, le Louvre-Lens consacre une fascinante rétrospective à la peinture polonaise du XIXe siècle. Ou comment les artistes ont su préserver l’âme d’un pays disparu…
Exceptionnelle, cette exposition rassemble près de 130 toiles signées entre 1840 et 1918 par des références comme Jan Matejko, Józef Brandt ou Jacek Malczewski. « Nous voulions montrer de très grands artistes polonais à une période où les nations s’affirmaient partout en Europe, mais où la Pologne n’existait plus », resitue Luc Piralla, directeur adjoint du Louvre-Lens. Ce qui demeurait « un vaste territoire de l’Est, englobant la Lituanie, l’Ukraine et la Biélorussie », fut en effet réparti à la fin du XVIIIe siècle entre la Russie, l’Autriche et la Prusse. Les poètes, musiciens (dont Chopin) et surtout les peintres préservèrent alors une identité nationale qu’on appellera la “polonité”, jusqu’à la résurrection et l’indépendance en 1918.
Le mal du pays
Divisé en sections thématiques, ce parcours chronologique s’ouvre tout en dramaturgie avec un tableau monumental de Jan Matejko, « alors une véritable star en Europe ». S’étalant sur près de cinq mètres de large et trois autres de haut, cette toile prêtée par le Château royal de Varsovie montre le noble Tadeusz Rejtan allongé, tentant dans un geste tragique de s’opposer au premier partage de son pays, en 1772. Un moment dramatique pour le pays, immortalisé par une œuvre iconique et devenue proverbiale. « En Pologne, l’expression “il faudra me passer sur le corps” se traduit par “faire son Rejtan”». La nation est certes rayée de la carte du monde, mais les peintres entretiennent son “âme” à travers des scènes de genre et de guerre, des portraits ou paysages… L’exposition offre dès lors une formidable découverte artistique et un passionnant voyage dans l’Histoire.
Glorieux passé
La première salle témoigne ainsi d’un “âge d’or”, nourri de richesses et de batailles victorieuses, par exemple illustré par Józef Brandt, capturant avec un réalisme saisissant (et un remarquable travail sur la lumière) une parade du roi Jean III Sobieski. Ça n’a rien d’anecdotique : « au XVIIe siècle, l’Europe est à genoux devant la Pologne, seul pays qui fut capable de stopper l’Empire ottoman ». Plus loin, le Napoléon à Cheval de Piotr Michalowski (sous haute influence de Géricault) rappelle les rapports étroits unissant la Pologne et la France. En 1807, la création par “le petit Corse” du Duché de Varsovie le propulse en héros national. Cet espoir d’indépendance aboutira sept ans plus tard au Royaume de Pologne… en réalité, dirigé par les Russes. Qu’importe, la Mazurka de Dombrowski, alors chant des légions polonaises engagées dans l’armée française, deviendra l’hymne national – le seul rendant hommage à Bonaparte.
Le réveil
La Pologne est aussi marquée par une grande diversité culturelle, et les artistes témoignent de cette mosaïque de communautés, des paysans d’Aleksander Gierymski (dont l’Angélus renvoie furieusement à celui de Millet) aux Houtsoules montagnards de Jarocki. A l’orée du XXe siècle, les peintres de la Jeune Pologne transcendent les courants occidentaux, et ouvrent la voie à la modernité. Citons les Coquelicots de Wojciech Weiss (1902), marqué par l’expressionnisme de Munch et montrant des enfants s’éveillant nus dans un champ de coquelicots. Leon Wyczółkowski symbolise quant à lui, dès 1904, la renaissance de son pays avec Le Chevalier aux fleurs. Une œuvre aussi symbolique que prémonitoire, annonçant le retour à l’état de grâce.
_________________Œuvres commentées_________________
Stańczyk (Jan Matejko, 1862. Huile sur toile)
Durant le XIXe siècle, les artistes polonais furent particulièrement influencés par le Français Paul Delaroche. « Il renouvela la peinture d’histoire en décalant notre regard, racontant l’événement à travers des scènes plus intimes », indique Luc Piralla. On retrouve ce parti pris dans ce tableau représentant Stańczyk, célèbre bouffon du roi de Pologne, au XVIe siècle. Ici, l’homme semble abattu, tandis qu’en arrière-plan la cour s’amuse lors d’un bal. On remarque une lettre posée à côté de lui. « Il vient de découvrir la perte de Smolensk en 1514 au profit des Russes, ce qui est une catastrophe, les prémices de la dislocation de la Pologne. La toile renvoie en même temps à un autre événement qui, en 1533, empêchera la reprise de cette même ville ». Dans cette “synthèse historique”, Jan Matejko s’en prend ainsi à la bassesse d’esprit des nobles polonais, ne voyant pas arriver les futurs malheurs de leur nation. Dans cette toile accusatrice, l’artiste s’identifie au bouffon, en lui donnant ses propres traits.
Melancholia (Jacek Malczewski, 1890-1894. Huile sur toile)
« C’est l’un des chefs-d’œuvre de Jacek Malczewski, indique Luc Piralla. Le peintre résume ici l’histoire tragique de son pays au cours du XIXe siècle, des insurrections à la répression russe jusqu’à la déportation en Sibérie, à travers une foule incarnant les trois âges de la vie, au sein d’un décor évoquant l’atelier de l’artiste ». Les personnages tentent en vain de s’enfuir par la fenêtre, obstruée par une femme toute de noir vêtue et symbolisant la mort. Le peintre est situé tout à gauche du tableau, dans le fond, et semble désabusé devant la vanité de sa tentative de raconter sa Pologne meurtrie…
Site internet : http://www.louvrelens.fr/
Galerie du temps et Pavillon de verre :
Entrée libre et gratuite
Galerie d’expositions temporaires :
Tarif plein : 10€ / 18 – 25 ans : 5€ / – 18 ans : gratuit
Le musée est ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h (dernier accès et fermeture des caisses à 17h15).
Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre.