Home Reportage East Side Gallery

On refait le mur

Le Mur tagué côté sud © Françoise Objois

Le 9 novembre 1989, la chute du mur de Berlin signait la fin de la guerre froide. Que reste-t-il aujourd’hui de ce symbole de la division Est-Ouest ? S’il a été presque entièrement démoli en 1990-1991, certaines de ses portions furent conservées intactes. C’est le cas d’un fameux tronçon, dans le quartier de Friedrichshain, sur lequel s’est développée l’East Side Gallery. Soit la plus longue galerie d’art urbain à ciel ouvert du monde !

Quand on déplie une carte de la ville et de ses environs, on réalise que Berlin-Ouest était entièrement encerclée par la RDA, tel un îlot au milieu de l’océan communiste. Qui veut suivre aujourd’hui les vestiges du mur (165 km) se rendra compte qu’il serpentait dans les rues elles-mêmes, au cœur de la cité. Il n’y a pas de meilleur endroit au monde pour revivre l’histoire de la guerre froide… et profiter d’une singulière balade artistique.

Postdammer Platz © Françoise Objois

Potsdammer Platz © Françoise Objois

Underground resistance

La capitale allemande a développé dans les années 1980 un mode de vie alternatif organisé, entre autres, autour du rock et de la techno. Précédé par Iggy Pop et Bowie, Nick Cave, attiré par la vitalité de la scène locale (Einstürzende Neubauten, Die Haut…) s’installa ainsi à Kreuzberg en 1982. Peu après, les musiques électroniques trouvèrent là des lieux pour s’épanouir, comme le Tresor ou le Berghain. Cette contre-culture trouve un écho visuel avec le street art, dont l’East Side Gallery demeure un spectaculaire représentant (1 316 mètres !).

Mur de la honte

Pour s’y rendre, on peut partir de l’Alexanderplatz et son emblématique tour de la télévision, précieux repère depuis 1969. Il faut passer par la Karl-Marx-Allee et ses spécimens d’architecture stalinienne fleurant bon l’URSS des années 1950. On ne risque plus d’y croiser la Nomenklatura est-allemande, ni les fameuses Trabi (et encore moins les tanks de l’armée de la RDA) mais persiste l’air d’un autre temps. Une époque où les libertés étaient pour le moins limitées. Avant 1989, il était interdit de peindre sur le mur de Berlin, même du côté Ouest. En 1984, le Français Thierry Noir fut le premier à s’attaquer à la portion située en face de son squat, avec ses personnages aux grosses têtes et yeux proéminents. « A l’époque, il y avait comme un tabou : les artistes allemands n’y touchaient pas. C’était un peu le mur de la honte », se souvient-il. Depuis, notre homme a été invité à peindre sur toutes les barrières du globe marquant une frontière infranchissable – et elles sont légion.

Le Baiser fraternel, Dmitri Vrubel. 1990 (c) Philip Koschel

Le Baiser fraternel, Dmitri Vrubel. 1990 (c) Philip Koschel

Patin historique

C’est en 1990, grâce à l’initiative d’une Britannique, Christine McLean, que l’East Side Gallery vit le jour. Cent dix-huit artistes de 21 pays y réalisèrent plus d’une centaine d’œuvres pacifistes, accompagnant la vague enthousiaste de 1989. La plus connue reste le Baiser fraternel du Russe Dmitri Vrubel, reproduisant une photo de Régis Bossu prise à Berlin en 1979 lors du 30e anniversaire de la RDA. Celle-ci montre sur 15 m2 Leonid Brejnev (dirigeant de l’URSS) embrassant à pleine bouche Erich Honecker (dernier président de la RDA). Aucune analyse de géopolitique ne sera plus claire que cette image détournant un fait historique pour servir une toute autre cause. « Ce mur conçu pour empêcher le dialogue devint un lieu privilégié de la communication », ironise Peter Klasen. Ce maître de la figuration narrative né en Allemagne a conçu lui une série de toiles à partir des graffitis photographiés sur le mur de Berlin.

Attention fragile !

Mais a-t-on affaire ici aux pièces originales des années 1990 ? Pas exactement. En raison de leur exposition en plein air et des badauds indélicats, il est nécessaire de les rénover régulièrement (1996, 2000, 2009). Le plus grand danger provient toutefois des projets immobiliers émergeant alentour… En attendant, la partie du mur située au sud de la ville est un terrain de jeu privilégié. Tags, affiches, collages ou fresques fleurissent, preuves de l’inventivité d’un art certes éphémère, mais plus vivant que jamais.

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Effigies de Lénine et Rosa Luxemburg abandonnées dans l'usine de fibres chimiques de Premnitz, avril 2015. Photo © Nicolas Offenstadt / Albin Michel

Photo © Nicolas Offenstadt / Albin Michel

Françoise Objois

East Side Gallery
Mühlenstraße 3-100, 10243 Berlin, www.eastsidegallery-berlin.com

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