Les scooterists
Défilé de mods
Dans les années 1960, la culture du scooter gagne la Grande-Bretagne. Au look de rocker, une nouvelle génération préfère le style italien, et aux déhanchements d’Elvis la northern soul ou le ska. Au point de provoquer l’animosité des blousons noirs, et quelques bagarres dantesques… Un demi-siècle plus tard, ceux qu’on appelle les “scooterists” ou encore les “mods”, demeurent des icônes des subcultures britanniques. Prêts pour une balade dans les rues de Londres en vespa ?
Comme la plupart des jeunes de sa génération, John a rêvé d’un scooter dès sa prime adolescence. « Ça ne coûtait pas cher, permettait de se rendre rapidement au travail, et puis ça impressionnait les filles… ». Leurs conducteurs étaient surnommés les mods (abréviation de “modernes”) et, jusqu’au milieu des années 1970, régnaient sur les mouvements underground britanniques. Ils cultivaient une certaine élégance, s’inspirant du dandysme transalpin ou édouardien, associé à la parka kaki typique des surplus de l’armée américaine – pour résister au climat local.
Mais ces jeunes gens motorisés ne séduisaient guère tout le monde. Les rockers, notamment, détestaient cette sophistication, ces couleurs vives et le design italien de leurs engins qu’ils comparaient à des sèche-cheveux ! En 1964, une baston mémorable a d’ailleurs éclaté entre les deux clans sur la plage de Brighton. Cette rixe impliquant près de 3 000 personnes a choqué toute l’Angleterre. John y était. « J’avais 16 ans. J’ai vu la bagarre démarrer sur la jetée, se souvient ce membre du Foresters Scooter Club (créé en 1957 à Londres). Des rockers couraient après les mods. Ils braillaient : “Les mecs, trouvez-vous de vraies bécanes !” ».
Le son de la discorde
Au-delà des apparences, la musique soulève aussi un sacré contentieux entre rockers et mods. Ces derniers ont des goûts plus nuancés. Ils écoutent de la northern soul, née dans le nord de l’Angleterre à la fin des sixties ou du ska (Madness, The Specials…). Mais leur groupe phare demeure The Who, dont la sortie en 1973 du double album Quadrophenia est une pierre angulaire de leur histoire. Nos gonzes sont certes des esthètes, mais ne renient pas leurs racines “Working Class”. « Oui, c’est un lifestyle, selon le très distingué Dave, également membre du Foresters Scooter Club. Aujourd’hui, je reste un mod. Ce n’est pas le cas de tout le monde, mais une chose est sûre : ce qui nous rassemble, c’est le scooter ». Le calendrier des rallyes multiplie d’ailleurs les occasions de se retrouver…
Rétros, c’est trop !
Ce dimanche 5 mai, ils sont tous là, sur la mythique Carnaby Street à Londres, pour exhiber leurs deux-roues. Originaux ou modernes, ils arborent toujours les marques Vespa ou Lambretta. Baptisé “Buckingham Palace Ride Out”, ce rallye annuel attire des scooterists de tout le pays, pour une petite virée en ville. Les regards s’attardent sur les machines les plus extravagantes, comme celle de Dell, dédiée à Madness : selle en damier noir et blanc, figurines du chanteur, extraits des morceaux… Autour, chacun devise sur la qualité des bécanes dont la majorité date de la fin des années 1950 ou début 1960. Les puristes les restaurent en choisissant les teintes et accessoires d’époque. D’autres, plus aventuriers, tentent des couleurs contemporaines et pétantes, des “customisations” avec ajouts de rétroviseurs façon “palais des glaces”.
Scoot toujours ?
Après quelques pétarades et pannes éphémères, nos cavaliers se mettent en route. Ils progressent dans une belle cacophonie vers leur destination finale : le Strongroom. Bière, concerts et barbecue s’invitent dans ce pub de Shoreditch, à l’est de Londres. L’assemblée est essentiellement masculine. « Oui, les femmes sont la plupart du temps nos compagnes. On les surnomme les “Dorises”, pluriel du prénom Doris », explique Andrew, 44 ans.
Quelques rayons de soleil égayent l’atmosphère familiale tandis que les premiers accords de guitare résonnent. Au milieu de la foule des plus de 40 ans, quelques têtes blondes émergent. « Il y a un côté intergénérationnel. On emmène ses enfants aux rallyes, on les initie, ils perpétuent notre culture », explique Martin “Sticky” Round, ancien rédacteur en chef de Scootering Magazine. Mais l’avenir est incertain : les scooters ne sont plus du tout bon marché – comptez entre 2 500 et 9 000 euros pour une Vespa retapée. Dans le même temps, les vieux modèles s’épuisent, et ne représentent plus le meilleur moyen pour aller bosser. Enfin, les fans rechignent à investir dans de nouveaux engins plus fiables et moins polluants… En attendant la relève, les pionniers du scooter impressionnent toujours, et pas seulement les filles !
Stone Valley Festival North
Stanhope, 28 & 29.06, Castel Park, Complet !, www.stonevalleyfestival.co.uk
A lire / Scooterboys, The Lost Tribe, Martin “Sticky” Round, 228 p., env. 19,50 €, scooterlab.uk