Noma Bar
Sens figuré
Né en 1973 en Israël, Noma Bar demeure l’un des illustrateurs les plus demandés. Amusantes, pertinentes, ses créations offrent toujours une double, voire une triple lecture. Elles ont conquis les pages de la presse mondiale (The New Yorker, The Guardian, The New York Times… ) et de nombreuses enseignes prestigieuses (Apple, Google, Sony, Nike, IBM…). Cet artiste singulier nous livre quelques secrets de fabrication…
Quel est votre parcours ? Je suis diplômé du département de communication visuelle de l’Académie Bezalel d’art et de design de Jérusalem. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai déménagé à Londres, où je vis depuis près de 20 ans. J’ai commencé à travailler avec des éditeurs britanniques puis j’ai reçu des commandes du monde entier. Mes illustrations ont commencé à paraître dans les magazines, en couverture de livres, en passant par les panneaux d’affichage, les animations, etc.
Comment présenteriez-vous votre travail ? Je suis un conteur graphique. Chaque image raconte une histoire, personnelle ou imposée (pour un livre ou un article). Dans mon “langage silencieux”, j’utilise une palette de couleurs limitée. Certaines de mes formes proviennent de symboles et de pictogrammes familiers, agrémentées d’une petite touche leur offrant une nouvelle signification. J’essaie d’obtenir un effet maximum en réduisant les dessins à leurs formes les plus élémentaires. De cette façon, les spectateurs peuvent trouver une lecture double, voire triple.
Comment avez-vous développé ce style ? Tout a commencé en Israël, pendant la première guerre du Golfe. En lisant le journal à cette époque, je suis tombé sur le symbole “danger radioactif”, en noir sur fond jaune. J’ai alors remarqué qu’on pouvait lui ajouter les sourcils et la moustache de Saddam Hussein. J’ai esquissé sa silhouette, et c’est devenu mon premier portrait.
Le portrait semble d’ailleurs vous fasciner… Oui, j’ai toujours apprécié les visages. J’aime saisir des détails étranges, comme des espaces entre les narines, le nez et la lèvre supérieure, etc. Au fur et à mesure, les portraits sont devenus mon “nouveau” langage visuel. Ma première commande fut pour Timeout London, c’était une représentation de Shakespeare.
Pourquoi cachez-vous des éléments dans vos images ? Est-ce un jeu ? Un défi ? Je crois en la communication maximale avec un minimum d’éléments, j’aime créer des illustrations stimulantes, des scripts évoluant au fur et à mesure que vous les regardez. C’est stimulant, car les spectateurs doivent y regarder à deux fois, parfois plus, pour dénicher le sens.
Comment vous est venue cette idée de représenter des personnages en utilisant leurs signes distinctifs ? Cela remonte à l’enfance. Quand j’ai eu neuf ans, j’ai reçu mon premier jeu de crayons Crayola. J’ai commencé à dessiner tout le monde autour de moi : les voisins, le jardinier, les amis de mon père… Ce fut l’un de mes premiers pas vers la compréhension du visage humain et des émotions, l’exagération comique et la composition. Par exemple, l’un de ces dessins représentait un homme d’affaires avec un graphique financier en guise de bouche, d’autres affichaient des dents en forme de clavier de piano, etc. Chaque fois que je repense à ce vieux carnet de croquis, je souris, c’était définitivement un bon début !
L’humour semble aussi important dans vos compositions, n’est-ce pas ? Oui, il joue un rôle essentiel dans mon travail mais aussi dans ma vie. C’est le meilleur moyen de décrire une tragédie ou une comédie. Dans mes œuvres, je sens que je peux convertir des moments quotidiens ennuyeux en instants de plaisir.
Quelle serait votre création préférée ? Wow, question difficile … Je pense à celle illustrant le film Pulp Fiction, car elle me fait sourire chaque fois que je la regarde.
Si vous n’étiez pas devenu illustrateur, quel métier auriez-vous choisi ? Compositeur, sans doute. À mon avis, la musique est la forme de création la plus abstraite, et pourtant la plus chargée en émotions.
Œuvres commentées
Double Bill (2013)
Un jour de soleil, à Waterlow Park, au nord de Londres, des moineaux sur une branche près du lac et un canard dans l’eau ont été “unis” par une effet de perspective, durant une seconde. Soit suffisamment de temps pour que mes yeux et mon cerveau puissent saisir ce moment. J’ai dessiné une interprétation graphique et l’ai publiée sous forme de sérigraphie. Pendant presque toute ma vie, mon cerveau a été entraîné à lire et à écrire de droite à gauche, car c’est ainsi que fonctionne l’Hébreu. Au fil des ans, le changement de sens de ma lecture et de mon écriture semble avoir affecté ma vue : mes yeux “scannent” désormais des deux côtés.
Pulp Fiction (pour Empire, 2014)
Au fur et à mesure, j’ai remarqué que, lorsque je dessine plusieurs personnes dans un seul cadre, elles se touchent toujours, formant une seule image et partageant une iconographie. J’aime ce dialogue visuel entre les personnages. Dans cette représentation de Pulp Fiction, j’ai uni le duo de tueurs pour former un pistolet avec la bouche de Travolta, le sourcil et le nez de Jackson.
Stanley Kubrick (pour Empire Re.view, janvier 2015)
En 2014, Empire a publié une collection de dix DVD des films les plus célèbres de Stanley Kubrick, parmi lesquels Orange mécanique, Lolita, Shining et Docteur Folamour. Il a été présenté dans la section Empire’s Re.view, pour laquelle j’ai produit cette couverture mash-up, réunissant les œuvres précitées.
Bob Dylan (pour Time Out, septembre 2005)
À l’instar de David Bowie, l’icône culturelle Bob Dylan peut être réinterprétée. Ici, des notes de musique, une guitare et un harmonica décrivent la profondeur de ses influences. L’utilisation d’une guitare électrique, la célèbre Fender Stratocaster, pourrait être controversée par certains fans du chanteur : lorsqu’il est devenu “électrique”, au Festival de Newport Folk en 1965, nombre d’entre eux ont accusé Dylan de s’être vendu, et l’avaient hué. Il était tellement en colère qu’il a refusé de revenir au festival jusqu’en 2002. Cette guitare a été vendue aux enchères pour près d’un million de dollars en 2013, devenant ainsi la plus chère de l’histoire.
Amy Winehouse (2006)
Ce portrait de la musicienne troublée Amy Winehouse a été réalisé avant sa mort en 2011, après l’avoir vue errer dans les rues de Camden, défoncée. Sa fameuse coiffure “en ruche” aurait suffi à l’identifier instantanément, mais les autres éléments de l’illustration donnent une idée de ce qui a finalement causé sa chute.
Nelson Mandela (pour Vrij Nederland, Pays-Bas, décembre 2013)
Lorsque l’éditeur de Vrij Nederland m’a demandé un portrait de Nelson Mandela, je ne savais pas que ce grand homme était mourant. En fait, j’ai demandé quelle était la date limite de livraison, et il s’est tu. J’étais désolé et j’ai commencé à dessiner immédiatement. C’était très troublant de portraiturer une personne que j’admirais, en sachant qu’elle était en train de mourir.
Steven Spielberg (pour Empire Re.view, novembre 2014)
Mes images sont souvent épurées, mais parfois j’inclus plus d’éléments, comme dans ce portrait de Steven Spielberg, révélant plus de films à chaque regard. L’illustration a été réalisée pour un coffret spécial rassemblant ses meilleures réalisations: E.T., Les Dents de la mer et Jurassic Park.
Wolf Lamb (2014)
La Conférence israélo-palestinienne sur la paix réunit des décideurs, écrivains, philosophes des deux pays et des dirigeants du monde entier. En 2014, on m’a demandé de créer une couverture et une affiche pour cet événement (où figuraient Barack Obama, Ban Ki-moon et Tony Blair) et d’utiliser le concept biblique du loup vivant avec l’agneau afin de produire une image lisible des deux côtés.
A lire : Bittersweet (Thames and Hudson), 400 p., 44 €, thamesandhudson.com