Jean-Luc Plé
Le seigneur des anneaux
Vous ne connaissez peut-être pas son nom, mais vous avez sans doute déjà vu ses sculptures. Ou plutôt… tourné autour, derrière votre volant. Jean-Luc Plé est créateur d’œuvres sur rond-point, depuis 20 ans. De La Rochelle où il vit jusqu’à Cayenne, en Guyane, cet ancien ouvrier à la chaîne a réalisé plus d’une quarantaine de pièces. Du genre unique, et monumental. Rencontre avec le maître de l'”art giratoire”.
Jean-Luc Plé est ce qu’on appelle un personnage. Né au Mans en 1958, élevé au Havre, il fut d’abord ouvrier à l’usine Renault de Sandouville, puis pilote de course (« j’ai même remporté le Paul Ricard », sourit-il, photo à l’appui), designer, sculpteur d’enseignes publicitaires… Bref, « j’étais pas fait pour aller pointer », dit-il avec une gouaille de tonton flingueur. Son truc, ça a toujours été « l’art ». En 1998, il débarque par hasard en Charente-Maritime et concrétise son rêve… sur des ronds-points. Il nomme ça « l’art giratoire ». Mais pourquoi ce type d’emplacement ? « Parce qu’il est gratuit ! Je veux que mes œuvres profitent à tout le monde, que vous rouliez en Rolls ou en 4L », clame-t-il derrière sa grosse moustache.
Cagouilles pour tous
Sa première production trône à Archiac, petite commune d’à peine 800 âmes mais célèbre pour sa Maison de la Vigne. Jean-Luc y a donc élevé un gigantesque tonneau, élégamment décerclé. Et le succès fut immédiat. « Depuis, les maires me sollicitent sans cesse, séduits par mon concept, car mes pièces valorisent toujours l’identité locale, une histoire ou un savoir-faire…, explique-t-il. En réalité, je raconte la vie profonde du peuple, et les gens dans les campagnes sont toujours un peu oubliés ».
Parmi sa quarantaine de créations, citons ses fameuses “Cagouilles charentaises”, à Lorignac, soit deux escargots géants, dont l’un se contemple dans un miroir… « Quand je suis arrivé dans ce village de 400 pèlerins, personne ne s’arrêtait. On m’a expliqué qu’ils étaient pourtant les premiers producteurs européens d’escargots, aussi appelés “cagouilles”, et que les leurs étaient les plus belles. Je les ai donc transformées en princesses ! Mon travail, c’est de la BD en 3D ». Toutes les œuvres de Jean-Luc sont sculptées dans de la mousse polyuréthane, puis stratifiées avec de la résine, histoire d’éviter les drames. « En cas de choc violent avec un automobiliste, ce sont les statues qui explosent ». Eh oui, « on ne peut pas construire n’importe quoi sur un rond-point ». Parmi les autres règles à respecter, il y a celle des quatre secondes, soit le temps d’attention maximale d’un conducteur engagé dans ces carrefours.
Du win-win
Mais combien ça coute, pour citer un autre grand fan de giratoires ? Entre 35 000 et 100 000 euros. Un bon filon ? Plutôt un investissement, à en croire Jean-Luc. « Quand le Département décide d’installer un rond-point à un endroit accidentogène, il paie mais impose l’entretien à la commune. Pour cela, il donne une petite enveloppe. Les maires peuvent végétaliser, payer des cantonniers mais, à la longue, ça revient cher… C’est là que j’interviens ». Pas de quoi s’enrichir non plus. De toute façon, Jean-Luc Plé n’est « pas matérialiste, dit-il. Je roule avec la même bagnole depuis 20 ans » . Ce qui l’anime avant tout, c’est la création. « J’ai encore plein de délires en tête, notamment un moine sonneur de cloches un peu spécial à Camaret ». Vous aurez saisi le rapport avec la chanson paillarde… D’aucuns jugeraient ses œuvres un peu kitsch, voire d’un goût douteux, mais notre homme n’en a cure. « Vous savez l’art, ça plaît ou pas. Et si je peux rendre les gens heureux, même quatre secondes… ».
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