Bruno Boudjelal
Entre deux mondes
Photographier l'AlgérieMembre de la prestigieuse Agence VU, Bruno Boudjelal est né en 1961 en Seine-Saint-Denis. Son travail photographique se situe entre le documentaire et le récit autobiographique. Sa pratique est née en 1993, lorsqu’il décide de se lancer sur les traces de ses origines, en Algérie. Suivront dix années d’exploration d’un pays alors en proie à la violence et une série d’images en noir et blanc puis en couleur, présentées à l’IMA de Tourcoing au sein de Photographier l’Algérie. Ces “jours intranquilles” témoignent à la fois d’une quête d’identité mais aussi de scènes d’un quotidien alors peu montré. Rencontre.
Pouvez-vous nous rappeler votre parcours ? C’est une longue histoire (rires). Mon père est algérien et ma mère française. J’ai grandi en Seine-Saint-Denis dans une cité hautement improbable jusqu’à l’âge de 12 ans, puis j’ai été confié à mes grands-parents français vivant dans le centre-ville de Montreuil, afin de m’éloigner de ce quotidien difficile. Ensuite, j’ai travaillé comme guide en Asie du sud-est, accompagnant des touristes lors de trekkings. Je n’avais alors pas du tout l’ambition de devenir photographe.
Pourquoi êtes-vous parti en Algérie ? Mon origine algérienne m’avait toujours été cachée. Je ne connaissais que le lieu de naissance de mon père, découvert fortuitement sur le livret de famille. Il avait coupé les ponts depuis 45 ans avec les siens, sans jamais leur donner signe de vie. En 1993, j’ai décidé de me lancer sur les traces de ma famille paternelle, à la recherche de mon histoire, cette part de moi qui me manquait. Mon père devait m’accompagner lors de ce voyage mais n’est finalement pas venu. Je suis donc parti seul, pour la première fois, vers un pays inconnu et alors en pleine guerre civile…
Pourquoi vous êtes-vous équipé d’un appareil-photo ? C’est un ami qui a insisté pour que je le prenne. C’était un Nikon S, vendu dans le commerce et à destination des amateurs. Il m’a montré comment il fonctionnait car je n’y connaissais absolument rien, pas même Cartier-Bresson ! Voilà comment mon histoire avec la photographie a débuté…
Quel fut votre point de chute en Algérie ? Chez la sœur et le beau-frère d’une amie, qui habitaient l’une des banlieues les plus chaudes d’Alger. Lorsqu’ ils m’ont demandé la raison de ma présence ici, je leur ai répondu que j’étais photographe. Ils m’avaient bien prévenu qu’on ne pouvait pas prendre de clichés en Algérie mais, pris par mon propre mensonge, je leur ai assuré que j’avais l’habitude de ce genre de situation (rires) !
Comment avez-vous pris vos premières images ? Dès le lendemain, je suis parti avec mon appareil en bandoulière et, évidemment, j’ai failli me faire tuer le matin même. J’ai alors vite compris qu’il ne fallait jamais le sortir. C’était trop dangereux, entre les attentats et assassinats perpétrés sur les ressortissants étrangers, la suspicion et l’insécurité, les “ninjas” sillonnant les rues d’Alger…
Avez-vous finalement pu retrouver votre famille paternelle ? Oui, dans un petit village de la région de Sétif, où j’ai été accueilli par des youyous ! Lors du deuxième voyage, j’ai réussi à convaincre mon père de venir avec moi. J’avais cette fois décidé d’y aller sans appareil photo, car c’était trop compliqué. Mais le hasard m’a de nouveau rattrapé. Quelques jours avant de partir, j’ai croisé un ami à la sortie d’un McDo, avec sa fille. A l’époque, le menu-enfant était accompagné d’un petit appareil photo en plastique, mais qui fonctionnait ! Ils me l’ont prêté. Une fois en Algérie, personne n’a pu imaginer que j’étais en train de prendre des images avec ce jouet !
Voilà donc comment est née votre méthode… Oui, et je n’ai depuis jamais utilisé d’équipements professionnels. A Alger, j’ai aussi appris qu’il ne fallait jamais s’arrêter de marcher, plutôt donner l’impression de savoir où vous alliez. Ma photographie était donc toujours en mouvement, sans aucun cadrage. Ces contraintes ont généré une forme très particulière, traduisant mon impossibilité de capturer ce pays à cette époque.
Que montrent vos images ? Au départ, je n’avais pas clairement conscience de mon travail, pas d’objectifs précis, comme n’importe quel touriste partant en voyage. En 1998, le magazine Geo a publié mes clichés, témoignant d’un quotidien alors peu visible en Algérie, qui demeurait à l’époque l’un des pays les plus difficiles à approcher. Les retrouvailles avec ma famille furent l’occasion de dévoiler une réalité très différente et moins manichéenne de celle montrée par les médias occidentaux : des massacres, des manifestations… Mes photos révèlent des choses plus intimes, la jeunesse, des scènes avec ma famille… A partir de ce moment-là, j’ai décidé de partir régulièrement en Algérie et, à ma quête d’identité, s’est donc ajouté un regard photographique.
Votre travail se situe donc à mi-chemin entre le documentaire et le récit intime, n’est-ce pas ? Oui, totalement, il n’y a chez moi aucune objectivité, l’autobiographie est très présente, c’est une sorte de carnet de bord où s’impriment mes impressions et sensations. La majorité des photographes ne parlent que de leur rapport au monde, leurs obsessions. Pour moi, ce sont les petites histoires qui font la grande.
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