Power to the People
Au coeur de la révolte
Milieu des années 1960, Etats-Unis. Malcolm X vient d’être assassiné. La guerre du Vietnam bat son plein. La ségrégation raciale aussi… à Oakland, en Californie, deux jeunes militants de la cause noire, Huey P. Newton et Bobby Seale, rédigent sur un coin de table le Ten-Point Program. Le Black Panther Party est né. La maison Folie Moulins nous précipite dans ce grand mouvement d’émancipation à travers le regard du photographe Stephen Shames, loin des légendes urbaines.
Stephen Shames a passé sa vie à gratter le vernis trop lisse du rêve américain, immortalisant ses laisséspour- compte : toxicomanes, gangs, enfants pauvres… « Il se revendique de la Photo League, explique Olivier Sergent, le directeur de la maison Folie Moulins. C’est un groupe né dans les années 1940, sur la Côte Est des USA, témoignant en faveur des déshérités ». Cet engagement viscéral amènera ce blanc d’origine juive vers les Black Panthers. En 1966, il a 19 ans et étudie à Berkeley lorsqu’il rencontre Bobby Seale, lors d’une manifestation contre la guerre au Vietnam. « Il se lie d’amitié avec lui et va ainsi plonger dans les entrailles de ce parti durant sept ans, raconte Audrey Hoareau, co-commissaire de cette exposition. Plus qu’un travail documentaire, c’est une immersion ».
Instants décisifs
Stephen Shames a un objectif précis : « corriger la vision négative accolée à ce mouvement ». Trente-six ans après sa dissolution officielle, force est de constater que l’organisation révolutionnaire demeure au mieux méconnue, au pire décriée. « Aux Etats-Unis, les Black Panthers sont toujours très mal perçus. En dehors de Los Angeles et New-York, on les appelle encore les “tueurs de flics”… Stephen Shames a d’ailleurs du mal à montrer son travail dans son propre pays ». Et pourtant, quel travail ! D’un point de vue esthétique, d’abord. « Ses compositions sont remarquables, alors qu’il se trouve, parfois, dans des situations limites, où la police tire sur le QG dans lequel il se trouve… Mais il est au bon endroit au bon moment. Shames nous montre des moments pris sur le vif, il n’aurait jamais obtenu ce résultat sans pareille implication ».
The Message
La soixantaine d’images en noir et blanc présentées à Lille (dont 30 inédites) sont réparties selon cinq thèmes : “Mener”, “Rassembler”, “Lutter”, “Communiquer” et “Protéger”. « Oui, nous privilégions une approche très pédagogique, car Stephen Shames décrit exactement ce que sont les Black Panthers ». C’est-à-dire, en premier lieu, des leaders charismatiques, cultivés, « pétris de références littéraires, philosophiques ou politiques. Ils lisaient Frantz Fanon, Mao, Malcolm X ou Martin Luther King, bien sûr ». Ces clichés nous introduisent au coeur de cette lutte, très bien structurée et dont le premier outil demeure le rassemblement pacifique. « Ils organisaient des manifestations rapidement, afin de revendiquer un droit, boycotter un magasin ségrégationniste ou défendre des camarades emprisonnés, détaille Audrey Hoareau. Ces marches n’étaient pas violentes, mais les armes prenaient une place importante, synonymes d’autodéfense ».
D’où le choix, aussi, de la panthère noire comme emblème. « Cet animal qui n’attaque pas, sauf s’il est menacé… ». Eh oui, ici, les symboles n’ont rien d’anodins. A commencer par le look : « tout ce qui le compose porte un message. Le béret est un hommage aux résistants français, la coupe afro, c’est-à-dire naturelle, revendique les origines et les longs manteaux en cuir impressionnent… Bref, ils ont quasiment inventé la communication politique ! ».
Avec, en pilier, le journal The Black Panther, dont on découvre à Moulins des éditions originales. « Il permettait de collecter des fonds mais aussi de propager l’idéologie, réagir à l’actualité, aux faits-divers concernant les noirs et de crier sa haine contre les policiers, les “pigs”, comme ils les appelaient ».
Protection sociale
Surtout, ces photographies nous dévoilent toute la dimension sociale du mouvement. « Les Black Panthers ont mis en place des dizaines de programmes humanitaires, distribuant des petits-déjeuners aux enfants les plus démunis, des vêtements ou colis de nourriture dans les quartiers pauvres. Ils ont aussi fondé des écoles… La protection de leur communauté représente l’essentiel de leur action ». En guerre ouverte contre le gouvernement, le parti périclite en 1982. « En réalité, il est mort dès 1975. Ses membres sont presque tous passés par la prison, certains ont été détruits. Hoover et le FBI leur ont pourri la vie, de façon mesquine parfois. Des noirs ayant des choses à se reprocher étaient par exemple contraints de les infiltrer… ».
Et après ?
La fin sera d’ailleurs très moche, entre luttes de pouvoir interne et grand n’importe quoi (ces pantalons avec chaussette incorporée dans l’entre-jambe, pour booster la virilité, d’ Eldridge Cleaver…).
Qu’en est-il de leurs successeurs ? « Le mouvement n’a peut-être pas duré assez longtemps, mais je pense qu’il a tout de même laissé un héritage social, en tout cas culturel ». Black Lives Matter ? « Non, il défend la même idée, mais n’a pas cette intelligence collective qui fit la force des Black Panthers ». Montrer les réussites de ce combat pour la liberté, la justice et l’équité reste donc, aujourd’hui, une nécessité. Surtout à l’heure où le racisme et la ségrégation sont toujours prégnants dans le pays de Trump… « Au-delà de cette réalité politique, nous souhaitions aussi prouver que cette histoire peut servir d’exemple à d’autres luttes, comme celle menée par les femmes : la révolution est l’affaire de tous, c’est à nous de la prendre en main ». Power to the People !
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Autour de l’exposition : 13.10 : James Baldwin, le grand démystificateur (causerie avec Didier Boudet) // 20.10 : L’histoire du jazz des années 1960 à nos jours (visite musicale) // 24.10 : Black Power Mixtape (documentaire de Göran Hugo Olsson) // 31.10 : Triple H : Hip Hop et Histoire(s) (Table ronde + dj set) // 02.11 : Clips inspirés de l’univers des Black Panthers (projection par Backpackerz) // 04.11 : Atelier sérigraphie sur carte postale // 07.11 : Initiation au dessin au stylo bic avec Wündertute // 17.11 : Miles Davis, John Coltrane et les autres (causerie avec Didier Boudet) // 01.12 : Spike Lee (causerie avec Karim Madani) // 08.12 : Causerie avec Olivier “Tavu” Ente // 09.12 : Customisation de vêtements avec Les Ateliers du Pressing // 15.12 : Broderie sur carte avec Wündertute // 06.01.2019 : Sérigraphie sur poster avec Les Ateliers du Pressing // 29.09 > 06.01.2019 : .ensemble., exposition d’ Olivier “Tavu” Ente