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Le passé recomposé

Après Congo et Mission, l’écrivain brugeois David Van reybrouck se plonge dans un nouvel épisode sordide de l’histoire du plat- pays : l’intervention militaire belge menée en somalie, en 1992-93. nourrie des témoignages d’anciens para-commandos, Para analyse le processus de déshumanisation et ces “opérations internationales de maintien de la paix”, entre idéalisme et impuissance.

Comment cette pièce est-elle née ? J’ai été marqué par une photo parue dans un hebdomadaire belge, au début des années 1990, durant la guerre civile en Somalie. Ce cliché, très dur, montrait des paramilitaires brûlant un Africain… La Belgique avait envoyé des commandos dans ce pays, mais on en parlait peu à l’époque. Au fil des années, cette mission a été oubliée, alors qu’il s’agissait de la plus grande action militaire menée par le Royaume, depuis le Congo.

Pourquoi cette photo vous a-t-elle fasciné ? Je cherche à comprendre comment la violence se déclenche. Je ne crois pas que l’Homme soit par nature méchant ou bienveillant, qu’il y ait les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. La pièce montre ce glissement moral, comment un jeune garçon gentil en vient à commettre de tels actes de barbarie. Mais Para n’est ni un éloge ni un réquisitoire. Il s’agit d’écouter…

Comment résumeriez-vous la pièce ? C’est le monologue d’un paramilitaire (joué par l’époustouflant Bruno Vanden Broecke) nourri des interviewes que j’ai menées auprès d’anciens soldats. Le personnage commence en donnant une confé- rence, avec son Powerpoint et une carte de l’Afrique. Puis, au fur et à mesure, il raconte des anecdotes, se perd, se retrouve en Somalie en 1992… son récit devient une confession. On découvre alors son traumatisme, provoqué par ces morts et crimes qu’il a commis, mais aussi par la violence du jugement du monde extérieur, qui ne veut plus l’écouter.

Que verra-t-on sur le plateau ? C’est très épuré. Moins on met en scène, et plus on montre de choses. Comme dans Mission, un décor sobre, un texte et un comédien suf- fisent à construire tout un univers. La lumière est très importante. Un tas d’ambiances et d’atmosphères sont créées avec des moyens extrêmement simples.

Para et Mission reflètent-elles les deux faces d’une même pièce ? En quelque sorte. Dans les deux cas le personnage est un Européen blanc parti en Afrique postcoloniale, avec un certain idéalisme : sauver les citoyens. Mais ces bonnes intentions s’accompagnent souvent de pratiques sordides..

Est-ce l’histoire de l’Occident que vous racontez ? Oui. Dans les années 1990, tous les pays africains sont décolonisés, le mur de l’Est est tombé. L’Occident s’interroge : à quoi bon nos armées ? Doit-on se mêler des guerres civiles ? On avait tendance à dire ” oui “. C’est ainsi que nous sommes intervenus en ex-Yougoslavie, en Somalie, avec un certain idéalisme, sans se rendre compte de la complexité de la situation. Mais nous étions encore ani- més par une conscience mondiale des droits de l’Homme. Aujourd’hui, au regard des erreurs commises, on ne sait plus, et on constate une pas- sivité, une impuissance. En Syrie par exemple, on n’agit pas…

Votre travail est-il nécessairement engagé ? Il a un fond commun : j’essaie d’être à l’écoute avant de juger. Nous vivons une époque, celle des réseaux sociaux, où tout le monde hurle mais n’entend plus personne. C’est une période complètement polarisée, où tout est noir ou blanc. Je pense que le théâtre est un des rares endroits où il y a encore une volonté d’aller au-delà de cette pensée binaire.

Propos recueillis par Julien Damien
Informations
Maubeuge, Le manège
18.10.201820h, 12/9 €
Charleroi, PBA
21.10.201820h, 16/11 €
Bruxelles, KVS

Site internet : http://www.kvs.be

09.11.2018>11.11.201820h (dim:15h) , 20>5 €

Para (mise en scène : Raven Ruël)

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Photo : Dominique Houcmant Goldo