Adel Abdessemed
Une histoire de la violence
Enfant terrible de l’art contemporain, Adel Abdessemed investit les vastes espaces du Mac’s. Baptisée Otchi Tchiornie, cette “exposition-manifeste” se compose essentiellement d’œuvres créées pour l’occasion. Complexe, protéiforme, parfois incompris, le travail du plasticien franco-algérien dénonce avant tout la violence de l’être humain.
C’est l’un des artistes les plus en vue. L’un des plus sulfureux, aussi. En témoigne la polémique entourant son exposition se tenant en parallèle de celle du Mac’s, à Lyon. Parmi la quarantaine d’œuvres présentées dans le Rhône, on voit une vidéo de poules brûlées vives, certes réalisée avec trucage, mais déclenchant l’ire des défenseurs de la cause animale. Voilà tout le propos de ce Franco-Algérien de 47 ans : traduire la férocité de notre temps. Le grand public l’avait découvert en 2012, à l’occasion de sa gigantesque statue immortalisant le coup de boule donné par Zidane à Materazzi. Pourquoi la violence ? « Parce que notre monde l’est. Comment peut-on aujourd’hui créer quoi que ce soit sans s’en faire l’écho ? répond l’intéressé. Ces images me hantent, je dois les exorciser ». Sans doute moins provocante que son équivalente française, mais tout aussi pertinente, l’exposition présentée au Grand-Hornu est ainsi envisagée comme « un manifeste contre la barbarie et pour la liberté ».
Sur le tapis
Entre formes monumentales ou touches plus intimistes, vidéos, sculptures, installations ou dessins, les sept pièces composant ce parcours forment « une oeuvre totale, une conversation s’établissant entre chacune des salles ». Parmi elles, on trouve un ensemble de 27 effigies en bois calciné. Elles représentent les membres des Chœurs de l’Armée Rouge, tués lors d’un crash d’avion en décembre 2016, alors qu’ils se rendaient en Syrie pour soutenir les troupes de Poutine. L’ensemble est baptisé Otchi Tchiornie, soit “les yeux noirs” en russe, titre d’une chanson du répertoire desdits Chœurs. « Quand ces gens sont morts, les Chinois, les Coréens et de nombreux pays leur ont rendu hommage avec cet air… Même mon père le connaissait. Je me suis rendu compte qu’il était universel tout en touchant à l’intime. C’est rare dans notre société globalisée ».
« Adel est un artiste en phase avec une actualité violente, selon Denis Gielen, le directeur du Mac’s. Il nous entraîne dans les enfers un peu à la manière des poètes de l’Antiquité, comme Virgile ou plus tard Dante ». Au Grand-Hornu, le visiteur foule un long tapis rouge, un symbole du pouvoir pour celui qui dit « marcher sur des braises ». « C’est un chemin de croix qui, de station en station, nous confronte à différentes formes de mort ».
Au charbon
Y compris celle de la démocratie ? On se pose la question devant ces dizaines de dessins au fusain représentant des soldats (Soldaten). « Ils dénoncent l’omniprésence des militaires dans nos villes ». Vrai qu’ils nous sont désormais aussi familiers que des pigeons. Abdessemed en a d’ailleurs posé un là, sur un banc public, mais l’oiseau est harnaché d’une charge explosive, tel un kamikaze ailé (Bristow). L’autre fil rouge de ce parcours, c’est le charbon, renvoyant au Mac’s lui-même, un ancien site minier du XIXe siècle. « Pour Adel, l’histoire du Grand-Hornu est empreinte de souffrance, de cette domination de l’homme par l’homme ». Ce matériau est ainsi prisé par l’artiste, qui l’emploie pour dessiner ou sculpter. « J’aime sa légèreté, sa noirceur et sa profondeur », dit-il, résumant sans le vouloir son travail.
Site internet : http://www.mac-s.be
Ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 h, à l’exception des périodes de montage et démontage d'exposition.