Riding Modern Art
Figures de style
Skater dans un musée ? Sur des sculptures ? Oui, c’est possible. En tout cas à Charleroi – on précise, histoire d’éviter quelques méprises. Le BPS22 consacre sa première grande exposition au Français Raphaël Zarka. Visite d’un accrochage pas comme les autres, où l’on ne touche pas les oeuvres qu’avec les yeux.
Quel rapport entre le skateboard, la sculpture et les mathématiques ? Raphaël Zarka. Né en 1977 à Montpellier, notre homme reçoit sa première planche à roulettes à 7 ans. Comme tant d’autres petits garçons, mais ce cadeau anodin va influencer l’ensemble de son travail. « C’est plutôt un skateur de rue. Il a mis cette passion de côté en entrant aux Beaux-Arts de Paris… et puis il s’est rendu compte que les deux pratiques étaient liées, explique Pierre-Olivier Rollin, directeur du BPS22. En étudiant l’histoire de l’art, il a en effet découvert l’importance du mouvement dans la sculpture moderne… ». Il fut ainsi marqué par Carl Andre ou Tony Smith (dont l’une des pièces se nomme Free Ride) qui invitent le spectateur à tourner autour de leurs créations pour mieux les apprécier. « Pour Raphaël, les skateurs sont peut-être ceux qui appréhendent le mieux ce mouvement, tel que l’artiste l’a imaginé. Ils connaissent bien les lois de la gravité, savent comment prendre de la vitesse dans une courbe plutôt que sur un plan incliné… d’où la relation avec les mathématiques, son troisième centre d’intérêt ». Ainsi naquit Riding Modern Art, qui conjugue ces trois dimensions.
Profanation
Cet ensemble prend d’abord la forme d’un montage vidéo de figures dénichées sur le web (2005), puis d’une série de 53 clichés présentés en noir et blanc. Du pivot to fakie du Carolo David Martelleur sur une pièce d’André Volten au backside ollie de Steve Forstner sur Arc of 134,5° de Bernar Venet, ceux-ci nous montrent des jeunes gens rider sur des sculptures d’art moderne. Immortalisés aux quatre coins du monde, non par Zarka lui-même mais par des photographes professionnels. « Ce sont des images qu’il repère dans des magazines comme Thrasher. Il reste un collectionneur “d’objets trouvés”, mais en fait une oeuvre participative traversée par cette idée : le skateur révèle une autre dimension de la sculpture au visiteur ». Un geste iconoclaste, qui sied bien au BPS22. « Oui, on défend une approche profanatrice de l’oeuvre d’art, il s’agit de la descendre de son piédestal pour la rendre littéralement accessible aux gens, pour citer le philosophe Agamben ».
A Charleroi, Raphaël Zarka pousse ce principe plus loin encore, en transformant le musée en spot de glisse ! Il a ainsi conçu dans la Grande Halle du BPS22… un skatepark. Baptisée Paving Space, cette installation se compose de sept modules conçus en acier corten. Il s’inspire des formes imaginées par le mathématicien allemand Arthur Schoenflies, soit des structures géométriques simples, comme la pyramide tronquée. « Elles sont plastiquement fortes et surtout susceptibles d’accueillir des “rideurs” qui leur donnent tout leur sens, notamment une force chorégraphique ». Vous l’aurez compris : skate qui peut !