Mundaneum
Aux racines du web
Internet serait-il une histoire belge ? On peut le penser, en visitant le Mundaneum de Mons. Surnommé “le Google de papier” par Le Monde, ce lieu d’exception, à la fois centre d’archives et musée, rend hommage à l’aventure homérique de Paul Otlet et Henri La Fontaine. A la fin du XIXe siècle, bien avant qu’Alan Turing ne pose les bases du langage informatique ou que Jimmy Wales et Larry Sanger ne lancent Wikipédia, ces deux Bruxellois ont nourri une ambition aussi démesurée que visionnaire : collecter, indexer et rendre accessible l’intégralité du savoir humain.
Comme toutes les belles histoires, celle-ci couve sa petite ironie. C’est en effet à une dizaine de kilomètres du data center de Google montois que l’on trouve le Mundaneum. Si le premier a été implanté en 2015*, et traite les données des utilisateurs du moteur de recherche, le second a été imaginé 120 ans plus tôt, et pourrait bien être son ancêtre… Jugez plutôt. En 1895, Paul Otlet et Henri La Fontaine (prix Nobel de la paix en 1913) ont une idée de génie : créer un système recensant l’ensemble du savoir humain, quel que soit le domaine (sciences, arts…) ou le format (livres, affiches, journaux…). Bref, d’indexer tout ce qui est susceptible de porter une information, et cela grâce à un langage standardisé et compréhensible par tous.
Ils vont ainsi mettre au point la “classification universelle décimale” (soit le numérique d’avant-hier). Celle-ci se matérialise en de petites fiches cartonnées de 12,5 sur 7,5 cm sur lesquelles sont indiqués le sujet, le nom de l’auteur, celui de l’ouvrage, son année de publication, l’endroit où il est stocké dans le monde et un code chiffré permettant de les classer. Rangés dans de grands meubles à tiroirs en chêne formant le “répertoire bibliographique universel”, ces petit bouts de papiers composent dès lors… un moteur de recherche !« Paul Otlet fut visionnaire dans le sens où il a imaginé une manière de dématérialiser l’accès à l’information : celui-ci devient numérique, utilisant un système de chiffres organisant une grande base de données », selon Delphine Jenart, directrice adjointe du Mundaneum. Grand inventeur, le Bruxellois ira jusqu’à dessiner les plans d’un “livre téléphoné”, se présentant sous la forme d’un écran relié à un téléphone, et permettant à quiconque de consulter la page d’un livre stocké depuis n’importe où dans le monde… ça ne vous rappelle rien ?
Des utopistes dénigrés ?
En 1920 est ainsi inauguré le Palais mondial-Mundaneum, au Cinquantenaire à Bruxelles. « Un espace immense avec des salles dédiées à l’histoire des sciences, des techniques, de la géographie… », explique Charlotte Dubray, la directrice actuelle. Mais le déclin s’amorce dès 1934. Promoteurs du savoir comme arme de paix, ces deux progressistes se heurtent à la violence de leur époque. Nous sommes à la veille de la Seconde Guerre mondiale… « Ils sont expulsés des lieux, ne sont plus soutenus politiquement. Ils étaient plutôt de gauche, pacifistes, alors que les catholiques étaient au pouvoir. On les taxait d’idéalistes, voire d’antipatriotes ». Leur collection est transbahutée d’un endroit à l’autre, pillée… Henri La Fontaine et Paul Otlet disparaissent respectivement en 1943 et 1944. Leur projet tombe dans l’oubli avant d’être redécouvert dans les années 1960 par Boyd Rayward, un jeune chercheur australien…
Humanistes
En 1993, ce trésor emménage à Mons, attirant un nouveau public, avant de bénéficier d’un coup de projecteur international. S’appuyant sur les travaux de Rayward, le journaliste américain Alex Wright publie en 2008 un article éloquent sur le sujet, dans le New York Times, attribuant la paternité du web aux Belges ! C’est cette fabuleuse histoire qui est aujourd’hui racontée au Mundaneum de Mons. Niché entre les rues de Nimy et celle des Passages, cet ancien grand magasin de type Art déco datant des années 1920 a été rénové en 2015, à l’occasion de la désignation de la cité du Doudou en capitale européenne de la culture. Il abrite aujourd’hui 12 millions de fiches et 6 kilomètres d’archives, notamment des documents personnels sur le féminisme, l’anarchisme et le pacifisme. Un fonds inestimable dans lequel puise l’institution pour organiser des expositions temporaires. Actuellement, l’accrochage baptisé Si on osait la paix ? s’intéresse aux mouvements pacifistes en Belgique. Nous rappelant que ces deux visionnaires demeuraient avant tout de grands humanistes.
* le second dans les environs, après celui de Saint Ghislain en 2010.
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Mons – Mundaneum, Rue des Passages 15, mar > ven : 13 h > 17 h, week-end : 11 h > 18 h, 6 / 4 / 2 €, www.mundaneum.org
Si on osait la paix ? Le pacifisme en Belgique, d’hier à aujourd’hui – jusqu’au 14.05