François Delarozière
Ex Machina
En donnant vie à des créatures gigantesques qui transforment nos villes en théâtres, François Delarozière a inventé un nouveau langage scénique. Quelques mois après avoir impressionné les Calaisiens avec son spectacle Long-Ma, l’esprit du cheval-dragon, et à l’occasion de l’exposition Extraordinaires machines, présentée au Musée des Beaux-Arts, le fondateur de la compagnie La Machine revient avec nous sur deux décennies de créations.
Pouvez-vous nous rappeler votre parcours ? J’ai d’abord suivi des études agricoles puis je me suis orienté vers les Beaux-Arts de Marseille car j’ai toujours aimé dessiner. En parallèle, je travaillais pour des magasins, sur des prototypes de mannequins, je m’adonnais aussi à la menuiserie… un tas de choses. Puis j’ai rencontré des compagnies de théâtre, ce qui a un peu modifié mon parcours… J’ai alors rejoint des équipes, dans une démarche collective. Aujourd’hui, La Machine regroupe, au sein de deux ateliers, une cinquantaine d’équivalents temps-pleins et une quinzaine de permanents.
Vous êtes issu d’une famille d’artistes, n’est-ce pas ? Oui, j’ai beaucoup appris avec mon père. Il savait tout faire de ses mains : il construisait des maisons de A à Z, des fondations à la plomberie en passant par l’électricité, le jardin… Ma mère est musicienne et dessine elle aussi, et puis il y a beaucoup d’architectes dans la famille, de plasticiens, de peintres. Bref, j’ai toujours vécu entouré de bâtisseurs, cela a nourri mon sens du défi.
Comment l’idée de concevoir de gigantesques machines est-elle venue ? Le déclic a été ce géant que j’ai dessiné et construit pour la compagnie Royal de Luxe dans les années 1993-94 (ndlr: le « Géant tombé du ciel », présenté lors de l’inauguration du Tunnel sous la Manche). On m’avait demandé de réaliser une grande marionnette. On l’a construite avec peu de moyens, à quatre ou cinq. J’ai alors réalisé que ce nouveau langage avait un vrai impact sur les spectateurs. Ce fut un tournant en terme d’effet, de relation avec le public. De fil en aiguille j’ai répondu à un certain nombre de propositions. Mais je n’ai jamais fait de business-plan, je laisse venir les projets.
Comment présenteriez-vous votre travail ? Il s’intéresse surtout au mouvement. J’ai développé quand j’étais aux Beaux-Arts une recherche sur le temps. Celui, solaire, qu’on a inventé autour de la rotation de la Terre sur elle-même, en le fragmentant en espaces qui ont donné les jours, les heures, les secondes… Mais je me suis rendu compte que la notion de mouvement était aussi fondamentale, rendant les choses vivantes.
C’est-à-dire ? En mettant en mouvement de la matière inerte, avec la vitesse, l’ampleur des gestes, on peut fabriquer de l’émotion. Ainsi, j’utilise les machines pour créer un langage autour du mouvement.
Comment travaillez-vous ? Quel est le processus de création d’une machine ? Cela débute toujours avec une rencontre, la découverte d’une ville, un quartier… Je gribouille des petits croquis un peu partout – dans le train, au restaurant. Je me documente aussi beaucoup sur le Net, en achetant des livres… A partir de toutes ces données, je réalise un premier dessin. Je l’agrandis ensuite pour obtenir des plans. Cela devient une proposition, comme le schéma d’un livre, et alors toute l’équipe entre en jeu, avec son savoir-faire, sa sensibilité. Elle transcende, enrichit le dessin initial et aboutit souvent à quelque-chose de plus fort. Pour moi, c’est ce processus de création collectif qui importe.
Et ensuite vous construisez ces machines dans un atelier… Effectivement. L’atelier est ouvert, on peut assister à nos projets en cours. Il est situé au cœur de Nantes. On construit et on répète ainsi en public. C’est une façon de mettre de la vie dans la ville.
Justement, quelle est la place de vos créations dans la cité ? Nous considérons qu’il y a trois temps théâtraux : celui de la construction en atelier. Ensuite, la machine peut jouer dans un spectacle dont la durée varie : trois jours, une heure, avec ou sans musique. Le troisième temps arrive lorsque nos créations sont capables de transporter des personnes. Elles acquièrent une fonction citoyenne qui justifie leur présence dans la ville, comme un transport en commun ou une architecture pérenne. Dans ce cas, on obtient un théâtre légèrement « infusé » dans la cité, impliquant le public comme acteur, puisqu’il monte à bord de ces machines, devient un peu comédien. Ce troisième temps participe au développement urbain, économique touristique et culturel d’une ville de façon plus prégnante.
Comment vos machines fonctionnent-elles ? Ce sont des sortes de grandes marionnettes. Elles sont comme des pianos, il faut apprendre à les maîtriser pour procurer de l’émotion. On se comporte comme un groupe de danseurs qui se met en mouvement et coordonne ses gestes. Ainsi, notre cheval-dragon peut se montrer doux, introspectif, fougueux…
Il y a aussi tout un système de commandes… Oui, hydrauliques, pneumatiques, électriques… Ces machines de plusieurs tonnes sont de véritables architectures en mouvement, où circulent à la fois l’électricité, l’eau, la lumière…
Vous tenez à ce que le spectateur voient les rouages, la mécanique, n’est-ce pas ? Oui, notre langage plastique traduit une philosophie, une sorte d’éthique. On considère que nos créations participent à une sorte de nouvel ordre biologique que le public peut découvrir. Le châssis est un squelette avec toute une tuyauterie représentant les veines où circulent l’air, l’électricité et l’eau. Le moteur devient le cœur et le bois, la peau… On ne cache rien, car tous ces matériaux racontent une histoire qui fait vibrer et donne sa puissance narrative au “monstre”.
Que cherchez-vous à provoquer chez le spectateur ? Je prends plaisir à transformer l’espace public en quelque chose d’étonnant, vivant et perturbant. La ville n’est pas un terrain neutre, c’est un espace à vivre mais aussi le plus grand des théâtres du monde. Je cherche à toucher le cœur des gens, ce qu’il y a de plus intime en eux, à réveiller notre regard d’enfant.
Quelle est votre place aujourd’hui au sein de la compagnie ? J’agis un peu comme un chef d’orchestre, à tous les niveaux. Mais je bosse dans l’atelier, discute avec les équipes, décharge un camion, participe parfois à la construction, discute de chaque détail. Je réalise aussi tous les yeux de nos personnages. Cela dit, je n’ai que peu de temps pour construire, car je voyage beaucoup, prépare les prochains spectacles.
Quelles sont vos influences artistiques ? Très larges. Cela va du land art au minimalisme, en passant par Pina Bausch. J’adore aussi l’architecture, en particulier Eiffel, l’art nouveau, contemporain. Mais ma plus grosse influence reste la nature : le vivant, animal et végétal, les paysages, la géologie… C’est ma source d’inspiration première.
Devant certaines de vos créations, notamment celles présentées dans l’exposition Extraordinaires machines au musée des Beaux-Arts de Calais, on pense à Jules Verne ou à De Vinci. Font-il aussi partie de vos influences ? Nécessairement. Cette comparaison revient souvent et j’en suis flatté. Ce ne sont pas de références directes mais j’adore Jules Verne. Il puisait dans la technologie la plus moderne, et l’on a donné suite à plusieurs de ses projets ou inventions. Je me sens encore plus proche de De Vinci. Son dessin est très fouillé, descriptif, scientifique, il concevait lui-même ses prototypes… mais il ne m’arrive pas la cheville (rires).
Vous avez noué des liens forts avec la ville de Calais, n’est-ce pas ? Oui, j’ai un peu grandi avec cette ville, j’y ai fait mes armes avec ce premier géant, lors de l’inauguration du Tunnel sous la Manche. Depuis l’aventure a continué, d’abord avec le Royal de Luxe, puis en participant à la décoration de la Scène nationale Le Channel. Toutes nos créations sont passées par là et Francis Peduzzi (ndlr : le directeur) m’a toujours accompagné… C’est presque devenu une famille, c’est rare de vivre ce sentiment dans une autre ville, loin de Nantes.
Quels sont vos projets ? C’est absolument fantastique ce qui nous arrive puisque la maire de Nantes vient d’annoncer le démarrage de “L’Arbre aux hérons” (ndlr : soit une cité mécanique dans le ciel située à 35 mètres au-dessus du sol, perchée sur un arbre de 50 de diamètre !). Sa construction va durer cinq ans. On travaille aussi sur l’ouverture d’un lieu à Toulouse dédié aux expositions de nos machines de spectacles, comme le Minotaure ou l’araignée. On prépare également un grande spectacle à Ottawa l’été prochain, on joue dans toutes les grandes capitales du monde, de Pékin à Buenos Aires !
Site internet : http://www.musee.calais.fr/
Ouvert tous les jours, sauf le lundi. Fermé le dimanche matin et les jours fériés.
Du 01/04 au 31/10 de 10h à 12h et de 14h à 18h.
Du 02/11 au 31/03 de 10h à 12h et de 14h à 17h
Tarif :
Tarif plein : 4* / 2 euros
Tarif réduit : 2* / 1 euros
(*avec entrée exposition temporaire)
Gratuit: - de 5 ans et pour tous le 1er dimanche de mars, juin, septembre et décembre.
Extraordinaires machines
Calais – Jusqu’au 27.11, Musée des Beaux-Arts, mar > dim : 13 h > 18 h, 4 / 3 €, gratuit (-5 ans), www.calais.fr