Archibelge
Quel bazar !
Trois réalisateurs – un Wallon, un Bruxellois et une Flamande – explorent le bric-à-brac architectural belge. De la capitale européenne à la mer du Nord en passant par les routes nationales, Archibelge s’avance comme une réflexion poétique sur notre habitat et ses conséquences. Rencontre avec l’un des auteurs de ce documentaire, le Bruxellois Olivier Magis.
Comment est née l’idée d’Archibelge ? Nous nous sommes demandé pourquoi en Belgique notre décor était aussi hétérogène, bizarre, parfois moche, d’autres fois très beau. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’être « archibelge » se matérialisait par le rêve de posséder un petit pré carré, de travailler à Bruxelles et se divertir au bord de la mer.
Comment définiriez-vous l’habitat en Belgique ? En se baladant à Bruxelles, on se rend vite compte que tout est disparate. On a beaucoup copié l’étranger, des boulevards haussmanniens du centre-ville jusqu’aux cités-jardins anglais qui ont fleuri à Boitsfort, en passant par les modèles new-yorkais de Manhattan dans les quartiers nord. Il n’y a jamais vraiment eu de vision, on a reproduit des modes. Il y a toutefois des contre-exemples, comme les maisons de maître et, surtout, l’Art Nouveau.
Comment expliquez-vous cette variété ? La Belgique n’est pas un État-nation inspirant un style cohérent. Le sentiment d’appartenir à un État est beaucoup moins fort qu’en France ou aux Pays-Bas. C’est aussi ce qui fait son charme et la raison pour laquelle les Belges ont ce côté convivial. Notre fameux sens de l’autodérision belge n’en est pas un, c’est juste de l’honnêteté.
Quel est l’impact de l’architecture sur les habitants ? Je dirais plutôt l’inverse : quel est l’impact des habitants sur l’architecture ? Eh bien celle-ci nous ressemble. C’est : « montre-moi ta maison, ta déco, je te dirai qui tu es ». Dans le film j’ai utilisé des archives de politiques ou promoteurs, mais j’ai surtout donné la parole à une série d’intervenants pour démontrer que nous sommes tous complices. La Belgique a permis à chacun d’avoir ses propres goûts et couleurs. C’est comme demander à cent gamins de construire la maison de leurs rêves, on obtiendrait un maillage étonnant.
De quand cela date-t-il ? De l’après-guerre. Contrairement à la France où le communisme a fleuri, nous nous sommes rapprochés de« l’ami américain » qui nous a financés avec le plan Marshall. à l’époque, les sociaux-chrétiens étaient au pouvoir. L’idée fut d’éloigner les Belges des centres-urbains malfamés. Il s’agissait de se rapprocher de la famille et de l’Eglise. L’État a largement accompagné ce mouvement via des incitations fiscales. Les Belges ont massivement émigré avec de l’argent frais et du crédit, accédant à la propriété privée, qui était l’apanage de cette mentalité proaméricaine. Ce fut une énorme bêtise.
Les choses sont-elles en train de changer ? Une grande partie des Belges considère encore leur capitale comme une ville d’immigrés, dangereuse et sale. Cette ville est touchée par la précarité : plus de 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté ! Mais on voit émerger des initiatives individuelles intéressantes comme les habitats groupés. Le vrai danger de Bruxelles finalement, c’est la gentrification qui entrave la mixité sociale. C‘est un endroit où la vie reste peu chère, mais qui va rencontrer rapidement les mêmes problèmes que Londres ou Paris. Il y aura une compression de plus en plus forte du mètre carré et les plus défavorisés devront partir.
Archibelge, de Sofie Benoot, Olivier Magis et Gilles Coton, 2015. Série de trois épisodes de 52 min et long-métrage de 90 min, Playtime Films, VRT -Canvas, RTBF
A visiter / www.archibelge.be