Annette Messager
Le quotidien enchanté
C’est une artiste majeure de notre temps. Plus de 30 ans après la présentation de ses Chimères, Annette Messager est de retour sur les terres qui l’ont vue naître, à Calais. Elle y présente 19 pièces pour la plupart inédites, spécialement conçues ou revisitées pour le Musée des beaux-arts et la Cité de la dentelle et de la mode. La plasticienne poursuit une oeuvre débutée dans les années 1970, mêlant les formes et les matières, l’intime et l’universel, bouleversant les sens et les interprétations.
Pouvez-vous nous présenter cette double exposition ? Les œuvres exposées à la Cité de la dentelle et de la mode ont été créées en 2015 et l’année dernière. Elles sont un hommage à toutes les couturières. Les grandes maisons sont souvent tenues par des hommes mais la couture est faite par les femmes. Généralement on les appelle les « petites mains », ce qui n’est pas un terme très sympathique… J’ai donc voulu les magnifier en m’inspirant d’instruments de couture qu’on a tous chez soi.
Qu’en est-il des œuvres présentées au Musée des beaux-arts ? Là, c’est plus compliqué. A Calais, tout prend un sens particulier avec la question des migrants. Ne pas y faire allusion, c’est impossible. Le faire, c’est aussi dangereux.
Pourquoi ? Je ne me compare pas à Picasso, mais qui se souviendrait du bombardement de Guernica s’il n’avait pas peint ce tableau ? Je fais donc allusion aux migrants à travers, par exemple, ces personnages que j’appelle des pantins, qui sont mous ou qui sont accrochés ici et là, comme sur Notre planète – (ndrl :l’installation présente des globes qui se gonflent et se dégonflent).
Pourquoi avoir intitulé cette exposition Dessus Dessous ? Je m’intéresse à ce qu’on trouve au-dessous de nous, caché, comme dans la couture, où les dessous sont très importants. Je joue sur différents niveaux, j’aime rapprocher une chose et son contraire, j’ai souvent nommé des pièces de cette façon comme Articulés- Désarticulés.
Que voulez-vous exprimer ici ? Je m’appelle Messager, certes, mais je ne délivre pas de messages (rires). C’est au spectateur de faire le chemin avec sa propre histoire, son imagination. Comme disait Marcel Duchamp : « c’est le regardeur qui fait l’oeuvre ».
Comment interpréter cette installation faite de 400 traversins dans le hall ? Elle a beaucoup de significations. Les rayures peuvent nous renvoyer aux prisonniers, à Auschwitz. Et puis il y a aussi les batailles de polochons. Ils devraient évoquer le sommeil, le calme et en même temps, ils suggèrent des réminiscences de cauchemars… Vous voyez, un stupide traversin peut exprimer plein de choses !
Quelle relation entretenez-vous avec notre région ? Je suis originaire de Berck-Plage. Je me rendais souvent à Calais en famille dans ma jeunesse et mon père qui était architecte me montrait toujours les églises, les bâtiments… Un voyage durait très longtemps avec lui (rires). Et donc j’ai vu ces « Bourgeois » (ndlr : sculpture de Rodin, dans le centre de Calais) qui me faisaient très peur étant petite. Il y a ces chaînes, cette clé énorme… Par la suite j’ai d’ailleurs conçu beaucoup de clés. J’ai dû être frappée par cette sculpture. Enfin, il y a cette lumière du Nord qui est très belle, très forte.
Avec le recul, comment définiriez-vous votre art ? Je travaille avec des matériaux simples. J’exécute des sculptures avec des éléments du quotidien, en les détournant pour les montrer autrement.
Une ambivalence qu’on retrouve ici dans Les spectres des couturières où vous mettez en scène d’énormes objets coupants sous une forme molle… Oui, j’aime ce qu’on peut manipuler, palper. Un bout de tissu peut être inquiétant, servir autant à étouffer quelqu’un qu’à le protéger. Je travaille aussi avec des poupées, des peluches, facilement malléables, qui peuvent soudainement changer de forme et devenir dangereuses. C’est le quotidien qui est fantastique selon moi. C’est nous qui sommes inquiétants, notre monde…
C’est très ludique tout cela… Oui, il faut bien jouer, même des drames. Attention, il ne s’agit pas de jouir du malheur mais, malgré tout, on reste des humains. La vie continue…
Site internet : http://www.cite-dentelle.fr/
Saison haute (1er avril - 31 octobre) : tous les jours de 10h à 18h sauf le mardi
Saison basse (1er novembre - 31 mars) : tous les jours de 10h à 17h sauf le mardi
Tarifs exposition permanentes + temporaires : 7/5€
Tarifs exposition temporaire : 4/3€
Site internet : http://www.musee.calais.fr/
Ouvert tous les jours, sauf le lundi. Fermé le dimanche matin et les jours fériés.
Du 01/04 au 31/10 de 10h à 12h et de 14h à 18h.
Du 02/11 au 31/03 de 10h à 12h et de 14h à 17h
Tarif :
Tarif plein : 4* / 2 euros
Tarif réduit : 2* / 1 euros
(*avec entrée exposition temporaire)
Gratuit: - de 5 ans et pour tous le 1er dimanche de mars, juin, septembre et décembre.
Les interdictions (2014)
Cette installation est constituée de 68 panneaux d’interdiction. Un rapport avec mai 68, quand il était « interdit d’interdire » ? « En fait, c’est un hasard », confie Annette Messager. Mais, comme souvent, celui-ci « fait bien les choses »… « Pour réaliser cette œuvre, j’ai simplement recopié des panneaux trouvés sur internet (dont je me sers souvent dans mon travail) : interdiction de se noyer, de fumer, de conduire une voiture pour les femmes en Arabie Saoudite, etc. » Parmi tous ces panneaux, l’artiste en a inventé un. Saurez-vous le retrouver ? On remarque aussi que des pantins se sont glissés ça et là… Bravent-ils ou subissent-ils l’oppression mondialisée ?
Les Chimères
Voici une œuvre iconique du Musée des beaux-arts de Calais. Exposée pour la première fois en 1983, cette série a été abîmée suite à une grosse inondation. Là où beaucoup se seraient arrachés les cheveux, Annette Messager a vu l’occasion d’offrir une seconde vie à ces photos et peintures fantastiques. « Je les ai placées un peu n’importe comment, sur un autre mur, on ne pouvait plus identifier quoi que ce soit … et j’ai trouvé que c’était très bien de les représenter dans cette nouvelle forme ! J’aime me renouveler, me resservir d’éléments. »