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Serviteur de la beauté

©Stephan Vanfleteren

Dans le cadre de Mons 2015 se tient une exposition majeure à Namur. « Facing Time » organise la rencontre entre deux artistes sulfureux, séparés par près de 150 ans : le Namurois Félicien Rops et l’Anversois Jan Fabre. Ce dernier voit ses installations monumentales se déployer aux quatre coins de la ville. Performeur, sculpteur, chorégraphe, dramaturge… il bâtit depuis plus de trente ans une oeuvre dense, iconoclaste et inspirée. S’il a pu choquer, notamment avec cette pièce de 2004 où des danseuses urinent sur scène, il reste un artiste mondialement reconnu pour sa capacité à mêler tradition et modernité. Rencontre avec un monument de l’art contemporain.

Comment est née cette exposition ? C’est la directrice du musée Félicien Rops qui en a eu l’idée. J’avais déclaré dans une interview que si je devais voler une oeuvre dans un musée, ce serait Pornocratès de Rops. Les choses ont ensuite pris de l’ampleur. Et aujourd’hui, je découvre l’exposition achevée.

Comment a-t-elle été montée ? La commissaire de l’exposition, Joanna De Vos, a eu totale liberté pour choisir mes oeuvres et celles de Félicien Rops. Il s’agissait de confronter deux époques et deux artistes différents.

Félicien Rops, Pornocratès, 1878, gouache, aquarelle, pastel rehaussé d’or sur papier, 75 × 48 cm. Fédération Wallonie-Bruxelles, en dépôt au musée Félicien Rops. Province de Namur.

Félicien Rops, Pornocratès, 1878

Comment avez-vous découvert Félicien Rops ? C’est un artiste majeur dans mon parcours. Quand j’avais 18 ans, je venais régulièrement à Namur pour jouer au casino. C’était le seul établissement en Belgique où on pouvait manger à la table de jeu ! à cet âge j’étais un dingue de Blackjack. Je pouvais rester des heures à jouer aux cartes, tout en m’empiffrant de tartines de filet américain (rires). Un jour, j’ai tout de même eu la curiosité de pousser la porte de l’ancien Musée Rops, et ça a été un choc.

Qu’est-ce qui vous plaît tant chez lui ? Il faut savoir que dans les années 1970 personne ne connaissait son oeuvre. à l’époque son travail paraissait trop conceptuel. On n’y voyait que de l’abstraction. Mais Rops est un artiste fantastique, qui a une imagination incroyable. Il a fait preuve d’une telle subversion… Son potentiel est infini.

Scarabée sacré, 2011, bronze, 38 x 42 x 76 cm Photo : Pat Verbruggen © Angelos bvba

Scarabée sacré, 2011

Il vous a beaucoup influencé ? Enormément. On le voit très bien dans les oeuvres sélectionnées ici. Rops s’intéressait beaucoup à la sensualité, à l’aspect érotique du corps humain et à ses fluides aussi.

Comme vous… Oui. Depuis tout jeune je suis fasciné par ces questions. Dans mon travail on retrouve toutes ces prises de risque. J’avais déjà réalisé des dessins avec mon propre sang dès 1977 et avec mon sperme à la fin des années 1980. Rops était un chevalier solitaire. C’est un artiste qui n’a jamais été à la mode ou respecté. Il a toujours été seul.

Tandis que vous, vous bénéficiez d’une renommée internationale… La chance est le seul juge !

Jan Fabre, Cross with Snake, II, 2012, 74 x 39,5 x 29,7 cm, Jewel beetle wing-cases on wood, stuffed animal © Angelos bvba

Jan Fabre, Cross with Snake, II, 2012

Que ressentez-vous devant cette exposition qui place vos oeuvres, séparées par près de deux siècles, face à face ? Cela montre que l’époque n’a que très peu d’importance. L’identité des artistes est beaucoup plus forte. Et puis c’est une grande fierté. L’exposition s’étend dans de nombreux points de la ville. Cela crée une plateforme au service de la beauté et de la discussion.

Comme lui, pensez-vous représenter un « art belge » ? Oui, je suis un artiste typiquement belge ! Ma mère était une francophone catholique, mon père un flamand communiste. Il m’a emmené dans la maison de Rubens tandis que ma mère m’a appris à aimer Baudelaire. Je profite de la richesse de la culture de ces deux langues. Pour autant, l’art belge affiche une grande singularité, notamment une ironie omniprésente.

Félicien Rops, La Peinture érotique, s.d., eau-forte sur papier, 36,7 × 54,8 cm. Musée Félicien Rops. Province de Namur

Félicien Rops, La Peinture érotique

Comment parvenez-vous à jongler entre vos différentes activités (art visuel, chorégraphie, réalisation, etc.). Toutes ces pratiques se nourrissent-elles les unes les autres ? Le dessin et l’écriture sont à la base de tout. Les croquis, les petits dessins, deviennent ensuite des sculptures, des installations. J’utilise ensuite le média le plus adapté pour exprimer mon idée (sculpture, théâtre…). Mais peu importe les supports. Ils sont uniquement au service de la beauté. Je suis un serviteur de la beauté. Je suis prêt à me mettre à genoux pour elle.

Existe-t-il d’autres artistes avec qui vous aimeriez monter une exposition similaire ? Oui, et je vais bientôt le faire ! Une grande exposition est prévue à Saint- Pétersbourg en 2016. Ce sera un dialogue avec Rubens et Van Eyck.

Avez-vous d’autres projets ? Je suis obnubilé par une création mondiale qui verra le jour les 27 et 28 juin à Berlin, « Mount Olympus ». Ce sera une performance de 24 heures inspirée de la tragédie grecque avec 30 interprètes sur scène.

 

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Trois questions à … Bernard-Henri Lévy

 

Bernard-Henri Lévy

Bernard-Henri Lévy

 

Pour apporter encore un peu plus de lumière à l’événement, les organisateurs ont invité l’homme à la chemise blanche. Le philosophe anime une conférence avec Jan Fabre.
Pourquoi vous intéressez-vous à Félicien Rops ? J’ai écrit un roman sur Baudelaire. Il dit que Rops est le seul véritable artiste qu’il ait connu durant la fin de sa vie. Rops fut le témoin de la crise cérébrale qui frappe Baudelaire dans l’église de Namur. Cette attaque a une conséquence considérable sur la fin de son oeuvre.

Quel regard portez-vous sur le travail de Rops ? C’est un artiste qui n’est pas de son époque. Il avait une liberté et une insolence érotique qui était invisible par ses contemporains. J’imagine sa très grande solitude. Il choquait la bourgeoisie. Cette exposition a l’opportunité de le remettre à la place qu’il mérite.

C’est également le cas de Fabre ? Fabre jouit d’une reconnaissance méritée, mais il y a des gens qui ne le comprennent pas. La transgression n’est pas plus facile à une époque qu’à une autre. Les tabous ne sont pas les mêmes. Le sexe ne l’est plus mais la mort, oui, et elle est très présente chez Fabre.

Propos recueillis par Julien Collinet

Rops / Fabre – Facing time – Jusqu’au 30.08, Namur, Musée Félicien Rops, Maison de la Culture, La Citadelle et les rues de Namur, L’église Saint- Loup, Le Théâtre royal de Namur, 10/5€/grat, www.ropsfabre.be

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