Home Best of Interview Jonathan Capdevielle

Bye bye baby

Jonathan Capdevielle est un caméléon. Marionnettiste, comédien, ventriloque et performer de génie, il endosse des rôles troublants voire dérangeants (Jerk de Gisèle Vienne en 2008) ou burlesques (Bodies in the Cellar chez Vincent Thomasset). Avec Adishatz (adieu, en occitan) il revient sur sa propre adolescence, sur fond de tubes pop des années 1990. Dans ce cabaret décalé, les chansons se cognent aux conversations familiales, retraçant avec beaucoup de pudeur les lignes d’un itinéraire singulier.

Qu’est-ce qu’Adishatz, votre dernière pièce ? C’est un autoportrait chanté. Mon personnage se raconte à travers des chansons populaires, locales et internationales, et ce matériel là communique avec des conversations plus intimes, familiales. On peut parler d’autofiction.

 

Comment l’avez-vous écrite ? Je suis parti de mon désir d’adolescent d’imiter les chanteurs pop, à 15 ans. J’avais envie de revenir à cette passion, cette excitation particulière pour l’imitation en ayant le recul de mes trente ans passés. Et j’ai voulu trouver une forme scénique, chorégraphique et musicale à ces souvenirs là.

 

Qu’est-ce que vous aimiez tant dans l’imitation ? J’avais l’impression de voler une certaine identité et de m’en amuser. Ce que racontaient les chansons me touchait beaucoup à l’époque. Évidemment quand on est ado on est tout de suite plus sensible aux paroles. Dans les chansons de Madonna il était question de sexualité, d’ambigüité, d’identité, de sujets un peu tabous. Je m’y retrouvais. Et j’étais un grand fan.

 

Il y a un glissement d’identité dans la pièce, quel est-il ? J’ai d’abord essayé de retrouver l’image de l’ado que j’étais, en jeans-baskets-sweat-shirt. Puis le travestissement s’opère, je passe du jeans à la petite jupe et aux talons, avec perruque et poses glam pop. Cette métamorphose intervient dans un endroit inattendu, lors d’une conversation téléphonique avec un père de famille, une conversation à l’hôpital avec une sœur qui est mourante.

 

Que  permet le travestissement à ce momentlà ? L’image contraste avec ce qu’on entend. Alors qu’au début les chansons pop ne font qu’un avec ce garçon, là le discours s’éloigne de l’image et crée d’autres espaces. J’utilise la voix pour donner naissance à des personnages et des espaces. Ce sont des va et vient entre ce qu’on entend, ce qui est donné à voir, et une fusion des deux : l’image du corps et la parole.

 

Madonna, Cher, vos idoles d’alors, le sont-elles toujours ? Madonna l’est toujours même si je suis parfois déçu, je lui pardonne. Un point de départ pour Adishatz était de chanter ses hits a cappella. Je trouvais ça amusant de dépouiller la chanson pop de son habillage musical un peu lourdingue. Elle résonne alors autrement, comme une parole.

 

Vous étiez comment adolescent ? J’étais plutôt discret, sensible et un peu seul. J’avais un certain humour, un côté one-man show qui s’est développé au collège. J’animais les mariages, j’imitais Muriel Robin, je me donnais en spectacle (rires). Le premier moteur était l’observation de mon environnement. J’ai trouvé une réelle force de création et un plaisir à travers le chant, l’imitation et plus tard le théâtre.

 

C’est à ce moment là que votre désir de jouer se concrétise ? Oui, au lycée, avec une prof formidable qui a lancé plusieurs carrières. J’ai suivi une option théâtre et c’était très excitant. Chaque année on montait une pièce dans laquelle on s’investissait complètement, avec une rigueur professionnelle. Cette femme était un capitaine de navire, elle a montré que le théâtre était à notre portée.

 

D’où vient l’envie de mettre en scène cette période ? D’après ce que j’ai traversé il me semblait inévitable de travailler sur ce qui me constitue. C’est-à-dire d’où je viens, mes influences, et quel regard je porte aujourd’hui sur tout ça en tant qu’artiste. La magie du plateau fait que les choses se transforment, sont fantasmées et prennent d’autres formes que la réalité.

 

Comme un moyen aussi de vous affirmer ? Oui, surtout en tant qu’homosexuel. Parce que ce n’était pas évident en vivant dans un petit village à côté de Tarbes dans les années 90, sans tomber dans le cliché. On vit son homosexualité à travers la télé, des images, à travers Madonna par exemple. Si j’avais vécu dans une grande ville je pense que j’aurais compris qui j’étais plus rapidement, ou en tout cas j’aurais trouvé le moyen d’être sûr de qui j’étais. En province c’est plus difficile.

 

Et quel regard portez-vous sur tout cela aujourd’hui ? Un regard à la fois tendre et critique. Envers moi et envers les actes, les réactions des adultes. Ma famille n’était pas de tout repos, on a subi pas mal de drames et ça marque fortement. Ces tranches de vie difficiles ont aussi influencé ma manière de voir les choses, d’encaisser, d’observer le monde. Je trouve intéressant d’écrire sur cela avec la maturité que j’ai aujourd’hui et d’en faire un objet théâtral.

 

A quoi dites-vous adieu ? Adishatz c’est un peu à la fois « au revoir » et « bonjour », la porte n’est jamais fermée. Et l’adolescence n’est jamais loin de toute façon. Là je vais avoir quarante ans et bon, je pense qu’après la prochaine création, j’arrêterai avec l’autofiction. (rires)

 

Justement il y a Saga, vous pouvez nous en parler ? Je me suis mis à l’écriture comme on écrit une nouvelle, avec des personnages et des dialogues. Alors que dans Adishatz ce sont de vraies conversations que j’ai eu avec mon père, avec ma sœur à l’hôpital, retranscrites à partir du souvenir que j’en avais. Dans Saga la fiction vient troubler beaucoup plus ce qui est vrai ou non. Les sources sont réelles, certains personnages aussi mais je les nomme autrement, je les écris d’une autre manière.

 

Vous allez à nouveau y incarner seul tous les personnages ? Non, la différence est là. J’ai invité deux amis de lycée, tarbais, à me rejoindre sur le plateau. On a ce terreau en commun, ce qui permet une facilité notamment au niveau des dialogues. On construit les phrases de la même manière, et ça, quand on n’est pas tarbais, c’est compliqué à imiter (rires).  

 

 

Propos recueillis par Marie Pons
Informations
Amiens, Maison de la Culture d'Amiens

Site internet : http://www.maisondelaculture-amiens.com

Pour les Expositions : Ouverture du mardi au samedi de 13h à 19h, en continu les soirs de spectacles. Le dimanche de 14h à 19h.

28.01.201519h, 13>7€
Armentières, Le Vivat

Site internet : http://www.levivat.net/

30.01.201521h30, 21/14/7€
Arras, Théâtre d'Arras

Site internet : http://www.tandem-arrasdouai.eu

14.01.2015>15.01.201520h, 20>9€
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