Home Best of Interview John King

Rencontre en milieu (in)hospitalier

Philippe Matsas, Flammarion

De Football Factory à Skinheads, John King nous avait habitués à une cartographie en règle des subcultures britanniques : supporters, hooligans, punks et… skinheads. Son dernier roman, White Trash, semble à première vue quelque peu éloigné de ses milieux de prédilection : on y suit Ruby, jeune infirmière dans un hôpital public. Pourtant, là encore, John King y brosse le portrait d’une Angleterre contemporaine, vivante et énergique. Mais également aux prises avec un mal plus subtil qu’il n’y paraît…

Ce roman a pour toile de fond un hôpital public…
Fondamentalement, ce livre est un plaidoyer pour le service public de santé, la sécurité sociale et contre sa privatisation. J’ai beaucoup fréquenté les hôpitaux durant un moment, mon père étant souffrant. Je l’ai accompagné dans cette épreuve et c’est un lieu chargé de tristesse, mais qui regroupe également des gens vraiment fantastiques. Ce roman est une forme d’hommage.

L’idée, c’est aussi l’affrontement entre le Bien et le Mal…
Oui. C’est aussi l’histoire de deux personnes, l’une représentant le Bien, et l’autre versant davantage du côté du Mal. Je voulais écrire quelque chose d’assez classique et que le Mal se révèle lentement.

Comment cela se traduit-il ?
à chaque personnage correspond un style, une écriture différente : l’un optimiste et dynamique, l’autre obsédé par le contrôle, qui dit une chose mais en pense une autre, ce qui est également un reflet du système politique. Ce personnage agit d’ailleurs pour le gouvernement. Il tente de présenter ses choix de manière rationnelle : ce qu’il faut faire pour améliorer le système, etc. Et en dernière analyse, tout cela n’a qu’une justification : l’argent.

Quelle place occupe ce roman par rapport aux précédents ?
Ce livre parle du Bien et du Mal, mais s’intéresse également aux questions que posent mes autres romans : l’âge, les relations entre générations, les valeurs, le fait que chaque personne a une histoire à raconter. White Trash est un pont informel entre Human Punk et Skinheads, on y retrouve quelques personnages, quelques endroits.

Le personnage principal est une femme, Ruby, ce qui est assez nouveau chez vous…
J’avais déjà écrit des personnages féminins dans La Meute. Ceci dit, j’ai fonctionné un peu de la même manière que pour un homme, en étant peut-être moins agressif dans le langage. Mais il n’y a pas vraiment de différences. D’ailleurs, écrire en essayant d’imaginer au plus près la manière dont une femme fonctionne, c’est prendre le risque de tomber dans les stéréotypes.

Etes-vous d’ailleurs parvenu à écarter toute forme de clichés ?
Non, mais c’est un choix. On répète que tous les personnages doivent avoir leur part d’ombre ou leur part de bonté. Je veux bien, mais pas systématiquement. Dans la littérature mainstream ceux qui n’ont pas cette « part de bonté » viennent toujours d’en bas ; les prolos, les supporters… Dans ce cas, cela ne dérange personne. Alors, je me suis dit, rien à foutre, j’écris ce que je veux.

White Trash s’intéresse aussi aux corps…
Oui, c’est vrai, il est assez physique. Mais tout autant porté sur l’imagination, le mental, sur la manière dont les gens pensent. C’est assez indien en fait, si on considère que le corps et l’esprit ne font qu’un.

Ce roman est sorti en 2002 en Angleterre. L’écririez-vous de la même manière aujourd’hui ?
Plus ou moins. J’apporterais de nouveaux éléments, en rapport avec les directives de l’Union Européenne, qui veut privatiser à peu près tout. Et White Trash est une expression américaine que j’ai utilisée pour souligner l’américanisation de notre système. J’insisterais beaucoup plus là-dessus.

Ruby écoute beaucoup de musique électronique. Ce qui est également nouveau chez vous…
Cette musique m’intéresse, même si ce n’est pas mon principal background. Mais si j’étais jeune aujourd’hui, je serais à fond là-dedans ! L’autre idée était que cette musique peut être reliée aux battements du cœur. Mon père souffrait du cœur, j’en sais beaucoup sur le sujet et je voulais développer cette idée.

Vous écoutez quoi en ce moment ?
Je crois que je suis retombé dans le punk… enfin je n’en suis jamais vraiment sorti !Mais il y a de nouveaux groupes de punk, et d’anciens qui font toujours de la très bonne musique. Je me suis un peu plongé dans l’anarcho-punk : Crass, Conflict, etc. Et j’aime beaucoup Eight Rounds Rapid, Sleaford Mods également. La musique est plutôt en bonne santé en ce moment !

Vous avez des projets à venir ?
Un livre sur le rapport entre les hommes et les animaux. à travers un personnage qui va défendre leur cause, par l’action directe…

Sylvain Coatleven

Biographie

Né en 1960 dans la banlieue londonienne, John King fait partie de la « nouvelle génération perdue » issue du prolétariat anglais des années 1990. Il connaît un succès immédiat avec son roman Football Factory (« le meilleur ouvrage jamais écrit sur le football et la classe ouvrière », selon Irvine Welsh), adapté au cinéma en 2004 par Nick Love. Celui-ci ouvre une trilogie, dont les deux autres tomes sont parus aux Éditions de l’Olivier en 2000 et 2005 : La Meute et Aux couleurs de l’Angleterre. King publie d’autres romans dans la même veine naturaliste, explorant la société anglaise, la culture populaire ainsi que les racines sociales de la violence.

White Trash, éditions Au Diable Vauvert, Traduction Clémence Sébag, 376 p., 22

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