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Bande destinée

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Le Bleu Est Une Couleur Chaude (2010), de Julie Maroh, a collectionné les prix BD et remporté une Palme d’Or, via l’adaptation d’Abdellatif Kechiche (voir p. 54). Aujourd’hui, l’artiste publie Skandalon, histoire d’une icône rock aux faux-airs d’Icare. Cet ouvrage sonde de manière saisissante les sentiments les plus intimes, tout en contraste avec les excès publics du musicien. Rencontre avec une auteure qui sait manier les extrêmes.

Quelle est l’idée de ce nouvel album ?
Skandalon fait à la fois penser à un jeu, une divinité grecque et au scandale.
Le récit, celui d’une rock-star en proie à toutes les tentations, est très contemporain, mais structuré comme un mythe classique. Tout est parti de la scène finale, qui m’est apparue en flashes alors que je travaillais sur Le Bleu. Ça m’a obsédée sans que je ne sache quoi en faire. Et lors d’un concert, une connexion s’est faite entre ce que je voyais sur la scène et ces flashes. J’ai alors accumulé des idées et m’y suis consacrée pleinement une fois Le Bleu terminé.
Les exemples de liens entre musique et littérature abondent. Avez-vous été inspirée par des disques ou des bandes-dessinées ?
Des disques, oui, mais je ne pourrais pas tous les citer. Parfois je passais mes nuits à travailler. Alors, je profitais d’être seule pour mettre la musique à fond et peindre en dansant. Du coup, la musique aura au moins influencé mon geste ! En revanche, pour le dessin, je me suis plutôt penchée sur la peinture
européenne, depuis la Renaissance jusqu’au xixe pour saisir, entre autres, la notion de frontalité.

Quelles sont vos autres influences ?
La violence et le sacré (ndlr. 1972) du philosophe René Girard. Notamment pour le thème : une tragédie contemporaine dont le décor est ce milieu musical. Au fur et à mesure, j’ai pris conscience que mon récit rejoignait la mythologie classique et les théories de Girard sur le désir mimétique et le bouc émissaire. Il explique comment se forge une identité individuelle, mais aussi comment une société en crise se tourne vers un responsable qu’elle sacrifie pour le bien commun.

Quelle part de vous même retrouve-ton dans ce personnage ?
Aucune. J’ai même toujours pensé l’inverse : m’oublier, laisser le personnage m’habiter, le saisir, puis tenter de le retranscrire.

Le succès à Cannes, a-t-il influencé ou compliqué la réalisation de ce deuxième ouvrage ?
C’était… intense. J’étais très en retard sur le planning, je peignais une à trois pages acryliques par jour. Pourtant,
j’avais commencé à écrire Skandalon avant même la publication du Bleu. Ce sont donc de longs processus aucunement connectés entre eux. Mais, il est vrai que c’est difficile de sentir tous ces yeux par-dessus son épaule.

Vous êtes vous imposé des contraintes stylistiques nouvelles ?
D’abord, celle d’apprendre à manier l’acrylique, parce que je n’en avais jamais fait ! Chaque séquence a été réalisée sur un papier de couleur spécifique, chacune avait son ambiance colorée. Il s’agit toujours de trouver le moyen de coller à une intention scénaristique. Enfin, j’ai peint par-dessusen travaillant des transparences. Mon troisième album sera éloigné graphiquement des deux premiers. Je cherche à transcrire sur papier une représentation mentale précise.

Laissez vous place à une certaine forme d’improvisation ?
Pas vraiment. J’ai généralement toujours écrit mes scénarii avant de dessiner de petits storyboards. Désormais, je suis prête à renoncer à tout, et tenter le reste. C’est un de mes défis personnels, graphiquement, sur le troisième ouvrage que je prépare.

Le Bleu Est Une Couleur Chaude, Éd. Glénat, 2010, 159p., 15,50€
Skandalon, Éd. Glénat, 2013, 152 p., 18,50€

Propos recueillis par François Annycke
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