Home Reportage Whitby Goth Weekend

Le Bal des vampires

(c) Elisabeth Blanchet

Halloween approche. Une destination s’impose aux amateurs de vampires et de stations balnéaires hors du temps : Whitby. Dans ce petit port de pêche du Yorkshire, au nord de l’Angleterre, les gothiques du monde entier se retrouvent durant un week-end pour célébrer une contre-culture apparue à la fin des années 1970, dans le sillage post-punk. Au programme ? Une parenthèse joyeusement désenchantée sur fond de musique ! Rencontre du type mordante, avec en arrière-plan la ville où naquit Dracula. Surveillez vos arrières…

Whitby, Whitby, terminus ! Tout le monde descend… Le spectacle commence à la sortie de cette station balnéaire du nord du Yorkshire. Des centaines de “corbeaux” débarquent pour le Whitby Gothic Weekend. Ce festival a lieu chaque dernier week-end d’avril et en automne pour Halloween. Comme beaucoup de bonnes choses en Angleterre, cette aventure est née au pub, en l’occurrence à l’Elsinore. « Tout a commencé en 1994, par accident : une fête entre amis gothiques que j’avais organisée. J’attendais une vingtaine de personnes et on a fini à plus de 200 ! », se souvient Jo Hampshire, 48 ans, instigatrice d’un phénomène malgré elle. Car l’événement est devenu, 25 ans après sa création, le plus grand rassemblement mondial du genre. Depuis 1997, celle qu’on surnomme “Whitby Jo” se consacre à plein temps à ce rendez-vous bisannuel, dont chaque édition accueille entre 4 000 et 6 000 personnes de tous âges, horizons et nationalités. Du fish and chips du coin à la jetée qui longe la mer, en passant par les rues pavées de Whitby, ces hôtes un peu particuliers forment un ballet bon enfant. Cette faune hétéroclite, de noir vêtue (et le visage blanchi !), chaussée de bottes à talons compensés, arbore piercings ou mèches de cheveux fluo. On croise aussi des nostalgiques de l’époque victorienne en costumes à dentelles déployant leur ombrelle, ou encore des steampunks aux lunettes en bronze.

Sang d’encre

« Cela fait 14 ans que je viens ici, confie Liam Brandon Murray, styliste et designer. Je suis fasciné par le côté obscur de cette culture et l’atmosphère “vampiresque” de cette cité ». Il n’est pas le seul. Avant Jo et ses amis, la petite ville que la reine Victoria appréciait tant a accueilli à la fin du xixe siècle quelques auteurs de renom, dont Lewis Carroll, Charles Dickens et le fameux Bram Stoker. L’Anglais y a écrit son “best-seller “, Dracula, en s’inspirant du décor en pierres grises et noires un tantinet austère de cette commune de 13 000 âmes, et surtout des ruines de l’abbaye millénaire surplombant la mer du nord (adjacente à un cimetière). D’ailleurs, les festivaliers n’hésitent pas à gravir les 199 marches menant à l’ancien édifice religieux. Le spectacle des gothiques surgissant derrière des murets ou des colonnes géantes, sous un ciel brumeux, évoque un film fantastique… Mais en contrebas, dans les rues, la vision rappelle davantage un défilé de mode. Ouf ! « J’adore me balader et regarder comment les autres sont habillés », ajoute Liam, qui crée des costumes uniques, des robes-sculptures inspirées par cette culture. D’ailleurs, le temps d’un week-end, la ville abrite le Bizarre Bazaar où des exposants proposent toutes sortes d’objets (bijoux, vêtements, accessoires en cuir et en latex, vinyles…) à condition qu’ils soient bizarres, bien sûr.

(c) Elisabeth Blanchet

(c) Elisabeth Blanchet

Différents comme tout le monde

Mais on ne se rend pas à Whitby que pour faire des emplettes. Il est aussi question d’une grande fête ! Entre les concerts et les set de DJ, la programmation est aussi hétéroclite que les looks : rock goth, metal, cold wave… Dans les pubs comme l’Elsinore ou le Mag and Pie, les playlists broient du noir toute la nuit. Ces lieux sont d’ailleurs propices aux rencontres, sur fond de grands classiques tel A Forest de The Cure. « Je viens toujours avec ma compagne et au fil des ans, nous nous sommes faits pas mal d’amis. C’est l’endroit idéal pour sympathiser, les costumes brisent naturellement la glace », explique Liam. C’est aussi l’occasion de célébrer les différences.  « Ici, personne ne nous juge, les gens sont tous heureux, chaleureux. On s’échappe de la vie réelle », explique Rupert, incarnant la version gothique de Jack Sparrow. Près de lui, Maurice et Suzie. Leurs dentelles, froufrous, coiffures et accessoires leur confèrent des allures de héros de romans victoriens. Dans la « vie réelle », ils sont propriétaires d’un garage dans le Lincolnshire mais, ce soir, ils sont le “comte et la comtesse de Dragonscape”. « Dommage que l’art de bien s’habiller ait disparu, commente Maurice. Nous avons le sentiment de ne pas être nés à la bonne époque ».

Bénéfices mortels

En tout cas, les déambulations de cette faune gothique n’effrayent en rien les locaux.  « Les habitants nous ont toujours accueillis à bras ouverts», précise Jo. Chaque édition ravit aussi les commerçants, chacune rapportant environ 1 300 000 euros à la ville ! Historic England, l’équivalent des Monuments Historiques en France, est aussi conscient du potentiel lucratif de l’événement. L’institution organise depuis 2017 des sons et lumières à l’abbaye, des expositions sur les goûts macabres des Victoriens (le spiritisme, entre autres) voire des lâchers de faucons dans les ruines… Malgré cette surenchère, Whitby Gothic Weekend préserve son âme (noire), sous le regard bienveillant de Dracula, entre autres fantômes…

Elisabeth Blanchet

Whitby Goth Weekend

Whitby, 25 > 27.10, divers lieux en ville, whitbygothweekend.co.uk

Bonnes adresses

Pub Elsinor, sur facebook.com : The Elsinore Whitby Fish and chips

Magpie Cafe : www.magpiecafe.co.uk

Découvrir les “wearable sculptures” de Liam Brandon Murray : www.liambrandonmurray.co.uk

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