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Droit de regard

The Smith Family, Fife 1989 © Thomas Struth

Initié en 2017 par la Région Hauts-de-France et les Rencontres d’Arles, l’Institut pour la Photographie inaugure sa première exposition collective. Centrée sur la vie quotidienne, extraORDINAIRE retrace l’histoire et les usages d’un medium omniprésent dans nos existences, à travers le regard d’artistes de renom ou d’amateurs. Foisonnant, ce parcours préfigure par la même occasion toutes les possibilités d’un ambitieux projet.

C’est le propre de ce qui est omniprésent : on finit par ne plus le voir. En tout cas le regarder. Dans nos sociétés numérisées, l’image est partout, tout le temps. Mais est-elle seulement comprise ? Comment la fabrique-t-on ? Dans quel continuum s’inscrit-elle ? Voici quelques-unes des questions posées par l’Institut pour la Photographie. « Notre pari est de développer une culture de ce médium, devenu un langage universel. Il y a donc un considérable travail de recherche et critique à effectuer », explique Anne Lacoste, la directrice. Lieu de création, de pédagogie, de diffusion et de conservation, ce projet nourrit une ambition territoriale, « en collaborant avec les structures existantes, comme le CRP de Douchy-les-Mines ou l’association Diaphane », mais aussi internationale.

Pas si banal

En attendant son installation définitive, l’Institut inaugure son premier événement. L’endroit a été bien choisi : un ancien hôtel particulier, abritant autrefois le lycée professionnel Édouard-Lalo. Situé au cœur du Vieux-Lille, ce bâtiment réunit dans de vastes pièces, sur plus de 1 500 m2, sept expositions, pour autant de regards portés sur le quotidien. Pourquoi ce sujet ? « Parce qu’aujourd’hui, nous n’avons jamais autant documenté notre vie en images. Il s’agit donc de réinscrire ces usages dans leur histoire ». Citons Greetings From America, étonnant focus sur la carte postale américaine, de 1900 à 1940. « Nous avons aussi vocation à accueillir de grands artistes ». Lisette Model (1901-1983) en est un bon exemple. En prônant une approche subjective et instinctive de son art (« photographiez avec vos tripes », disait-elle) l’Américaine a aiguillé nombre de ses élèves,  parmi lesquels une certaine Diane Arbus, dont on découvre ici les œuvres iconiques.

(c) Thomas Struth, The Terhardt Family

(c) Thomas Struth, The Terhardt Family

This is England

Autre grand nom, l’Allemand Thomas Struth. L’Allemand présente une série de portraits de famille réalisés aux quatre coins du monde, en très grands tirages (jusqu’à deux mètres sur trois). « Il nous invite à reconsidérer la photographie, et son sujet, en sortant du format traditionnel. Conçues en chambre, ses productions révèlent une multitude de détails ». Et immergent le spectateur dans des histoires pas si banales, suggérées au détour d’un regard, d’une expression… L’exposition Home Sweet Home rassemble quant à elle une trentaine de photographes britanniques, ayant tous capturés des scènes intérieures sous l’ère Thatcher. « Ces clichés témoignent d’un quotidien bouleversé par la rigueur politique, mais aussi d’une évolution formelle, où l’on passe du cadrage classique à des prises de vue très originales, des flous, rendant compte du chaos du foyer ». On citera les Smokers de Ken Grant, l’exubérance kitsch de Martin Parr ou les mises en scène astucieuses de David Moore.

June Street,Salford,1973 ® Daniel Meadows_Martin Parr Magnum Photos

June Street,Salford,1973 ® Daniel Meadows_Martin Parr Magnum Photos

Le vrai du faux

Après s’être fait tirer le portrait dans un photomaton argentique des années 1960, l’ancêtre du selfie en quelque sorte (3 minutes pour obtenir la bande), le visiteur affûte son sens critique devant les négatifs amassés par Thomas Sauvin. Datant des années 1990, ceux-ci sont l’œuvre de quidams chinois posant à Beijing World Park, un parc d’attractions de monuments à échelle réduite. Leurs instantanés dialoguent avec ceux des touristes côtoyant des édifices bien réels. Et parfois, on ne sait plus distinguer le vrai du faux… « On se rend alors compte de la nécessité d’aiguiser son regard pour analyser une image. D’ailleurs, avec l’intelligence artificielle, il sera de plus en plus difficile d’éviter la confusion ». A ce propos, l'”hacktiviste” Paolo Cirio s’est réapproprié des captations de Google Street View. L’Italien les a agrandies, découpées et replacées à Lille, à l’endroit exact où elles avaient été prises. « Il interpelle ainsi les riverains sur leur droit à l’image, désormais en libre accès. Ces gens ont été immortalisés sans le savoir, leur visage a juste été flouté ». En filigrane, il tisse « un lien entre les mondes réels et virtuels, tout en brocardant les travers des pratiques modernes de la photo ». Joli clin d’œil, n’est-ce pas ?

A LIRE AUSSI: LAURA HENNO, ENTRE DEUX MONDES

The Chocolate Mountains Gunnery Range, Slab city (USA), 2017 © Laura Henno

The Chocolate Mountains Gunnery Range, Slab city (USA), 2017
© Laura Henno

 

Julien Damien
Informations
Lille, Institut pour la Photographie
12.10.2019>15.12.2019mar > dim : 10 h-18 h • sauf jeu : 10 h-21 h, Gratuit

Institut pour la Photographie

Lille, 11 rue de Thionville, + 33 (0)320 880 833, www.institut-photo.com

Programme / Lisette Model, une école du regard // Greetings From America. La carte postale américaine, 1900 – 1940 // Home Sweet Home. 1970 – 2018 : la maison britannique, une histoire politique // Thomas Struth : Portraits de famille // Laura Henno : Radical Devotion // Thomas Sauvin : Beijing World Park // Emmanuelle Fructus : 6610 // Paolo Cirio : Street Ghosts

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