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Enquêtes de sens

James Ellroy © Philippe Matsas / Opale / editions Payot Rivages

Il est là dans le vestibule de l’hôtel, presque jovial. L’atmosphère est détendue, loin de ce que l’attachée de presse avait promis : « Vous allez voir, il répond à peine aux questions ». Rencontre avec un écrivain populaire mais intransigeant, à l’occasion de la sortie d’un essai autobiographique, La malédiction Hilliker : James Ellroy.

Avant de rencontrer James Ellroy, on imagine un tas de choses. Il y a tout d’abord le misanthrope qui joue au génie mégalo devant des journalistes pressés. Mais, derrière ce masque médiatique, on sait qu’on trouvera aussi le visage torturé du peintre d’une Amérique malade. En guise de paysages : les bureaux des politiciens corrompus, les couloirs de la CIA et les scènes de crimes. Son regard est hanté par une société dont il traque les plus obscurs travers. Pourtant, il sait que l’essentiel lui échappera toujours : il ne retrouvera jamais l’assassin de sa mère… pas plus que sa mère elle-même, Jean Hilliker. Pire encore : à force de réécriture, le souvenir s’efface. « A l’intérieur de moi, son statut a radicalement changé : elle est devenue un personnage ». Leitmotiv romanesque (Le Dahlia Noir), ou sujet d’enquête exhaustive (Ma part d’ombre), ce traumatisme initial influença sa vie et plus particulièrement ses rapports amoureux. Dans chaque roman, ses relations successives deviennent des personnages qui sont autant d’incarnations potentielles de la défunte. Mais James Ellroy est un prosaïque. Pas la peine de l’entraîner sur le terrain de l’interprétation psychologique. Il veut uniquement des faits.

Je suis un historien
« J’engage des chercheurs qui compilent des feuilles d’événements et qui établissent des chronologies. Cela m’évite de commettre des erreurs factuelles. Je détermine l’époque, les lieux, quelques évènements, le passage de l’histoire que je veux dépeindre mais je ne connais pas les détails. Ils les mettent en place pour moi. Je lis toutes ces feuilles pour d’écrire de manière convaincante ces périodes que je n’ai jamais vécues ». Il y a chez Ellroy un souci de la vérité, typique de la littérature américaine. Si on le relève, il esquive : « Je ne suis pas assez éduqué pour pouvoir comparer. » Toutefois, contrairement à ce qu’il prétend, il n’est pas coupé du monde des lettres et se reconnaît même dans certains de ses contemporains. « Je partage la vision de Mr William Vollmann. Je suis à la recherche de la vérité et de la beauté. La vérité pour moi est ce qui motive les être humains au plus profond d’eux-mêmes. ». Le maître du roman noir ne cache pas son conservatisme. Attaché aux valeurs d’une Amérique mythique, il déteste notre monde actuel comme les années qu’il dépeint sont pour lui le théâtre d’une décadence politique et culturelle. « Je méprise le rock’n’roll. Je suis un historien. Et pour moi le rock est vraiment un aspect mineur des états-Unis des années 60. Je n’éprouve donc pas le besoin d’en parler. » déclare- t-il par exemple. C’est donc en toute logique qu’il remontera à nouveau le temps pour composer sa prochaine grande saga. Un second L.A. Quartet, qui se déroule à Los Angeles durant la Seconde Guerre Mondiale.

Florian Delval

La Malédiction Hilliker, éd. ❥ Payot & Rivages, 288 pages, 20€

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