Matthew O’Brien
Sous les tapis de Vegas
Las Vegas, concentration du rêve américain le plus clinquant, où les mythes d’avenir radieux sont servis depuis des décennies sous un ciel sans nuage. Mais à l’ombre des fantasmes cupides, vivent des victimes aux poches trouées. Des vies que Matthew O’Brien (re)place sous la lumière dans un texte sobre et percutant.
« Nous avons mis les pieds dans une zone ignorée tant par les touristes que par la population de Las Vegas. Pour une ville qui servait de toile de fond à tant de films et de séries télévisées, disséquée dans la presse et les livres, nous avions posé le pied en territoire vierge ! Un monde underground (…) que United Artists, E !, Frommer’s et Maxime avaient jusqu’alors snobés, trop occupés à investiguer les tables de poker et à mater les poitrines des showgirls ». Dans la grande tradition du journalisme Gonzo (hyper subjectivité et immersion dans l’objet d’étude), Matthew O’Brien s’est enfoncé dans les égouts de cette ville-lumière du désert. Y a rencontré ses… habitants ! Et tiré des portraits sensibles, mais sans apitoiement. « L’une des rencontres les plus surprenantes fut celle d’un gars nommé Lawrence, se souvient-il. Il vivait dans un canal d’évacuation humide. Son campement était situé au-dessus des écoulements. Il était poète et m’a récité certains de ses vers spontanément, là, dans l’obscurité. C’était une expérience à la fois angoissante et captivante. ”
L’Amérique six pieds sous terre
Sous Les Néons et son successeur, Blue Angel Motel, passent au scalpel le mythe américain, dans un style dépouillé et direct : « J’explore les canalisations et je raconte ce que je vois ». Des jeunes, des vieux, une mère et son fils, des vivants, des morts… Tout un peuple enseveli replacé sous la lumière grâce à des textes et des photos brutes, sans fard. On pense au récent London Orbital (2010) de Iain Sinclair, ou au Livre Blanc (2007) de Philippe Vasset. « L’histoire est écrite par les vainqueurs, ce qui est d’autant plus vrai à Vegas. Elle est racontée par les responsables de casinos, les politiques ou les génies des relations publiques. Moi, je voulais donner la parole aux perdants », dit-il. O’Brien s’est alors engouffré dans les lézardes des décors en carton-pâte pour y retrouver les exclus du système. Et leur redonner une humanité.
❥ à lire / Matthew O’Brien, Sous Les Néons, Inculte, 360 p., 20e
Blue Angel Motel, Inculte, 280 p.,18e