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Le retour de Faust

© Julien  Damien

Après Falstaff de Verdi, présenté en 2023, Denis Podalydès revient à l’Opéra de Lille pour mettre en scène Faust. Plus précisément, il s’empare de l’oeuvre créée par le Français Charles Gounod au Théâtre-Lyrique de Paris, en 1859. Un événement, car c’est la première fois depuis près de deux siècles que cette version originale est jouée, avec ses dialogues parlés et des airs inédits ! Mis en musique par Louis Langrée, qui dirige ici l’Orchestre national de Lille, cet opéra s’annonce aussi comme une grande fête populaire grâce à une retransmission en direct un peu partout dans les Hauts-de-France. Ou comment offrir une seconde jeunesse à la grandiose et tragique histoire du docteur Faust…

Qu’est-ce qui vous séduit dans Faust ? C’est un mythe qui donne envie à tout acteur, scénariste ou metteur en scène. Indépendamment des thèmes abordés, cette histoire de vieil homme invoquant le diable afin qu’il lui rende sa jeunesse réveille quelque chose de légendaire, de très primitif. C’est un personnage venant du fond des siècles et auquel n’importe qui peut s’identifier. Que ce soit un enfant, une jeune fille ou un homme âgé.

Quand avez-vous découvert cet opéra ? J’avais 14 ans, c’était un Faust de Jorge Lavelli à l’Opéra de Paris. Je me souviens d’un spectacle très impressionnant, tout était monumental, gigantesque… une énorme machine. Mais je n’avais alors aucun sens de la musique, je suis passé à côté. L’Air des bijoux me rappelait Tintin… Je ne prenais pas ça au sérieux, c’était trop pour moi. Je me suis vraiment attaché à l’oeuvre lorsque j’ai découvert cette version, dans le livret de 1859.

(c) Simon Gosselin

(c) Simon Gosselin

Pourquoi ? Parce que les Faust de Goethe et de Charles Gounod sont très différents. Chez le premier, c’est un grand intellectuel (Goethe lui-même) en pleine quête spirituelle de beauté. Il y a là une puissance philosophique et esthétique. Le docteur Faust de Gounod est plus touchant, c’est un personnage plus élémentaire.

C’est-à-dire ? C’est l’histoire d’un vieux savant mélancolique qui décide de mourir. Il veut boire du poison mais tarde trop et voilà déjà le matin. Un rayon de soleil le touche, il est repris par les parfums, les premiers chants de l’aube, entend des jeunes filles… La vie revient à lui mais la jeunesse lui manque. Le diable, incarnation du désir, se présente comme un serviteur et lui offre la possibilité de la retrouver. Il accepte le contrat en échange de son âme et va alors séduire une jeune femme pauvre, Marguerite. Il lui fait un enfant, l’abandonne puis elle meurt… Résumé de manière aussi triviale, c’est une nouvelle de Maupassant. Et j’aime l’idée d’une histoire banale enchâssée dans un conte fantastique.

Il y a l’amour aussi, pas que le désir… Oui, une lecture contemporaine pourrait voir en Faust un vieux libidineux voulant s’en payer une dernière bonne tranche. En réalité ce personnage est d’une infinie délicatesse. Son apparence est juvénile mais à l’intérieur il a gardé la sensibilité d’un vieil homme, et cela donne un personnage étonnant de douceur. Il n’est jamais prédateur, même s’il sait bien que Marguerite court à sa perte…

Vous refusez donc tout manichéisme… Ici, tout est à la fois touché par la pureté et le mal. Cet antagonisme se retrouve au sein même du personnage de Faust. Quand il aspire au bien il fait le mal, et quand il veut éviter le mal il tombe en plein dedans. À partir du moment où il signe le contrat fatidique, il est entaché. Les gestes les plus innocents sont les plus diaboliques et les gestes diaboliques parfois d’une pureté extrême… jusqu’ à l’infanticide, la mort et la résurrection. Mais il y a beaucoup d’ironie dans cette œuvre, notamment une critique du puritanisme, de la répression qu’impose la religion. Charles Gounod lui-même était un homme très pieux, mais travaillé par le désir dans lequel il voyait l’image même du diable.

Ce récit trouve sans cesse de nouvelles lectures. On ne peut s’empêcher d’y voir une réflexion sur l’obsession de notre société pour la jeunesse éternelle, n’est-ce pas ? Oui, et c’est là la dimension du mythe, il résonne toujours avec l’époque qui choisit de le réveiller. C’est un miroir éternel.

(c) Simon Gosselin

(c) Simon Gosselin

Que verra-t-on sur scène ? Le décor est assez minimaliste. Il y a une tournette sur laquelle reviennent des éléments et accessoires qui, reconfigurés, créent des espaces différents. Parfois c’est une simple porte qui apparaît pour symboliser un passage de seuil. Cette économie de moyen permet au spectacle d’être toujours en mouvement. Il n’y a pas de rideaux, les changements d’actes sont fondus au possible. Cette histoire, c’est une fuite en avant, une course vers le néant, il ne faut donc pas l’entraver, comme cette quête du désir qui ne s’arrête jamais.

Qu’en est-il des costumes, signés Christian Lacroix ? Ils renvoient à l’époque de la création originelle, en 1859, avec des chapeaux hauts-de-forme par exemple.

Cette production est aussi très particulière car elle reprend la version originelle de 1859, avec les dialogues parlés… Oui, les scènes sont toujours à la limite entre ce qui est parlé et chanté. L’effet est d’une théâtralité extrême. Cela crée des émotions puissantes et une histoire fantastique, dans tous les sens du terme.

 

Propos recueillis par Julien Damien / Photo : Julien Damien
Informations
Lille, Opéra de Lille
05.05.2025>22.05.202520h (sam : 18h), 75>5€

+ 15.05 : retransmission en direct sur grand écran, Place du Théâtre à Lille & divers lieux dans les Hauts-de-France 20h, gratuit

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