RapMinerz
Le vrai du flow
C’est entendu, le rap est la nouvelle pop mondiale. Le 11 août dernier marquait d’ailleurs le 50e anniversaire de la naissance du hip-hop, célébré à New York par, entre autres, Run-DMC, Snoop Dogg ou Ice Cube. Alors, tout a-t-il déjà été dit sur le genre ? Pas sûr. De ce côté-ci de l’Atlantique, le média RapMinerz ausculte la langue de Booba par le prisme des datas, livrant une analyse pointue de son évolution, tout en tordant le cou à certains a priori.
Jules Dubernard et Maxime Benoît nourrissent depuis le lycée une passion commune : le rap. Le premier a suivi une formation de journaliste. Le second est data scientist. En 2019, ils mutualisaient leurs compétences pour créer RapMinerz, le premier “data média” du rap français. L’objectif ? Agréger un ensemble de données (durée des morceaux, textes…) afin « de valider certaines intuitions, d’analyser objectivement ce genre et comprendre son évolution », détaille Jules. Concrètement, le duo a mis au point un “scraper”, soit un robot collectant des informations via différentes sources sur le web. Il a ainsi passé au crible plus de 165 000 morceaux de rap français, du milieu des années 1980 à nos jours.
Le fric, c’est chic
Première constatation, « les mots issus du champ lexical de la société et du militantisme, comme les références à la délinquance ou les appels à la contestation, sont en chute libre », selon Maxime. Cette musique aurait-elle perdu son rôle revendicateur ? « Statistiquement parlant, oui, toutefois le rap politique n’est pas mort. Les questions sociétales demeurent mais elles sont noyées au milieu d’autres sujets ». Parmi eux, l’un est de plus en plus prégnant : l’argent. « C’est le vocabulaire qui évolue le plus vite, avec chaque année de nouveaux mots pour l’évoquer, comme “moula”. Le rap est devenu une énorme industrie, beaucoup d’artistes vantent leur réussite matérielle ». Pour autant, les rappeurs ne manquent pas de profondeur. « Étonnamment, on remarque aussi une évolution du lexique lié à la spiritualité ou à la nuit, à la description de la Lune, des astres… Quelque chose de poétique émerge ».
De la figuration à l’abstraction
Au-delà de l’enrichissement de la langue par l’argot étranger (du Maghreb, d’Afrique, d’Espagne…), la structure elle-même du texte a changé. « Le rap est plus abstrait, observe Jules. Avant on racontait une histoire, on parlait de sa vie, de la société. Aujourd’hui on développe rarement un seul thème sur un titre. On conjugue une multitude de formules, d’images, de réflexions… ». Le rythme s’est également accéléré. Les BPM mesurés par RapMinerz n’ont fait qu’augmenter. « À partir de 2013, il y a eu un virage en France, on est passé du boom-bap à la trap, avec des morceaux plus rapides et dansants ». On se rassure, il existe encore de belles plumes. « Parmi les plus originaux, on recense surtout des artistes issus de la francophonie : de Guadeloupe, de Martinique, du Québec aussi, comme Kasper 939, qui enrichit ses textes de franglais. En France, parmi les plus lettrés, on peut citer Lucio Bukowski ou Hippocampe Fou ». Alors, était-ce mieux avant ? « Certes, le rap a perdu en engagement, un peu de son âme originelle mais il a gagné en musicalité et n’en finit plus d’évoluer ».