Les voitures sans permis
Roulez jeunesse !
Qui l’eût cru ? Le marché des voitures sans permis est en plein boom. Inventées en 1898 par le constructeur français Léon Bollée, celles que l’on surnomme parfois “pots de yaourt”, “merdem” ou encore “doum-doum” selon les régions, attirent une nouvelle clientèle : plus jeune, plus branchée et plus aisée aussi. Pourquoi ? Parce qu’elle préfère ces engins au scooter, ne trouve pas forcément l’intérêt de passer le permis pour conduire une “vraie” auto, mais pas seulement… Enquête sur les chapeaux de roue, des quartiers chics de Marseille à la Normandie. Va-va-voom !
Rue Paradis, Marseille. François boit un coup en terrasse. Sa Ligier rouge est garée à deux pas. « Ici, c’est un peu un spot pour voiturettes, commence le lycéen de 18 ans. Ça fait quelques années déjà que c’est à la mode chez les jeunes, ici dans le 8ème ». De ce côté de la ville, on est en effet aux antipodes des quartiers Nord et ce sont les parents qui achètent ces véhicules à leurs enfants pour aller en cours. « Ils pensent qu’on est plus en sécurité que sur un scooter », témoigne François, conducteur depuis ses 14 ans. Pour Aurélie Geber, responsable communication du Groupe Ligier – Microcar, leader européen du marché du QL (quadricyle léger) en Europe, « cet engouement vient d’Italie où quasi toutes les ventes concernent cette population. La tendance a dû traverser la frontière et gagner le sud-est de la France avant de s’étendre ». À ce phénomène méditerranéen s’ajoute le fait que l’on peut piloter une voiturette dès l’âge de 14 ans, au lieu de 16, depuis 2014.
Coût pour coût
Pourtant, une “doum-doum”, comme on dit dans les Vosges, n’est vraiment pas donnée. « L’entrée de gamme d’Aixam est à 9 000 €, mais pour un modèle sport coupé, il faut compter 13 000 € », confirme Kevin Guillot, magasinier et vendeur de la concession Aixam (leader français du marché), à Avranches dans la Manche. Cette somme s’explique principalement par des volumes de production beaucoup plus modestes que ceux de géants comme Renault ou Peugeot. Toutefois, Kevin constate un réel essor depuis ces deux dernières années, corroboré par des chiffres d’AAA Data. Du 1er janvier au 30 avril, 7 088 voitures neuves sans permis se sont vendues en France, soit une augmentation de 31 % en un an. Les acheteurs sont essentiellement des mineurs ou de jeunes majeurs. « Certains m’ont confié que c’était trop dur de passer le code et le permis, et puis ça revenait moins cher de conduire une voiturette, de plus sans risquer de perdre des points ». Du coup, n’est-ce pas un peu dangereux ?
T’as pécho ?
Retour à Marseille. Devant le lycée Notre-Dame-de-Sion, Allon et Rosalie, 18 ans, attendent leur copine Romy, et sont garés en double file dans l’Aixam coupé toute pimpante d’Allon. « Il faut avoir le brevet de sécurité routière (BSR) pour conduire sans permis, comme pour le scooter. Normalement, c’est huit heures de pratique et quatre de théorie ». À les écouter, circuler dans leur petite automatique n’aurait rien d’effrayant. Les deux potes n’y voient d’ailleurs que des avantages : la sécurité de l’habitacle par rapport au scooter, les deux places (voire trois, même si c’est interdit) et le gain de temps pour passer le permis. « J’ai forcément pris de mauvaises habitudes, mais je sais comment me tenir sur la route. Et puis c’est l’outil idéal pour pécho ! », rigole Rosalie.
Fast and Furious
« À mon âge, je n’ai plus besoin de draguer, certifie de son côté Christian, 70 ans et retraité à Avranches. Je sais qu’ils font des modèles À Jullouville, Aimie au volant de son AMI. chouettes pour les jeunes avec des écrans. Mais moi, j’aime bien la mienne, elle a plus de 200 000 km au compteur. Je suis même allé jusqu’à Bordeaux en prenant les départementales ». En 2003, cet ancien chauffeur de taxi a perdu son permis : « L’alcool, révèle-t-il. J’ai perdu six points d’un coup. J’ai dû repasser le code mais ça m’a vite pris le chou. Alors je me suis branché sur les “sans permis”. Le seul problème c’est la vitesse, et si on débride le moteur, on risque gros ». Car pour l’instant, pas question pour ces petites machines de dépasser les 45 km / h et de rouler sur les voies rapides. « A Marseille, on s’en fiche. Elles sont presque toutes débridées. Du coup on atteint facilement les 75 km / h », confie François, qui ne craint pas la maréchaussée. « D’ailleurs, je n’ai pas de plaques à l’avant car ce n’est pas obligatoire, ça évite de se faire repérer. Et les gendarmes, on les énerve un peu. Ils nous traitent de fils à papa ». Quoi qu’il en soit, les grands constructeurs ont bien saisi le filon.
La cour des grands
Avec la Twizy et l’AMI, Renault et Citroën se sont lancés sur le marché, sur un mode électrique. À Jullouville, station balnéaire de la Manche, Aimie, 17 ans, et sa soeur Gabie, 15 ans, se partagent une AMI flambant neuve. « Nos parents nous l’ont achetée pour aller au lycée. On gagne du temps, on peut faire les courses, on est autonomes », explique Aimie, toute fière de son bolide “Pop”, attirant le regard d’un passant, qui la questionne sur l’autonomie… du véhicule. « 75 km, et on peut la brancher partout, ajoute-t-elle en montrant la prise. C’est comme un aspirateur ! » Harry Potter n’a qu’à bien se tenir avec son balai volant.