Lee Fields
Roi de coeur
A 68 ans, Lee Fields est un monument de la soul music américaine. Samplé par la jeune garde du rap US (de J Dilla à A$AP Rocky), compagnon de route de B.B. King ou de Kool and The Gang, celui qu’on surnomma “Little JB” pour sa ressemblance physique et vocale avec James Brown, n’a en effet publié que six albums en près de 50 ans de carrière ! Le dernier en date, It Rains Love, sort ce mois-ci et s’offre comme un brûlant chant d’amour, son éternelle préoccupation. Rencontre avec une légende bien vivante.
Quand avez-vous commencé à chanter ? Dans la ville où j’ai grandi, en Caroline du Nord, vers 13 ans. J’ai débuté dans un chœur à l’église puis participé à un concours de talents à cause d’un pari (rires) ! C’est un ami qui m’a poussé à monter sur scène. Le public est devenu dingue !
Et avant cela ? Comme tout le monde j’écoutais de la musique sur mon transistor. De la pop, ce genre de choses. Mais je ne pensais pas en faire un jour mon métier. Je me voyais plutôt business man… C’était l’un des rares moyens de gagner de l’argent pour un noir dans le sud des Etats-Unis…
Avez-vous vraiment enregistré vos premiers morceaux dans le studio où James Brown a immortalisé Papa’s Got a Brand New Bag… Oui, j’avais 17 ans à l’époque. Cette chanson était un immense hit, j’avais du mal à croire que je travaillais dans le même studio que James Brown. C’était une énorme star, les plus grands s’inspiraient de lui. Il m’a aussi beaucoup influencé, comme Sam Cooke ou Solomon Burke.
Vous avez aussi collaboré avec de nombreux artistes tels B.B. King, Bobby Womack ou Kool and The Gang. Que vous ont-ils apporté ? J’ai appris de tout le monde. Je prête attention aux moindres détails et c’est encore le cas aujourd’hui. Pour rester à la page, mieux vaut rester curieux. Je pars du principe que je ne sais rien, continuant d’apprendre sans cesse, tel un enfant (rires) !
Comment votre premier album a-t-il vu le jour ? Au départ j’étais chez London Records, comme Tom Jones. Lorsque mon contrat a expiré j’ai fondé mon propre label. On était au début des seventies et la tendance était à la musique qui remuait les foules ! J’en ai profité, et tout s’est accéléré pour ne s’arrêter qu’au début des années 1980.
Comment avez-vous vécu ce passage à vide ? Vu que dans les eighties on ne me demandait plus autant, j’ai commencé à remettre en question mes choix. Je me sentais frustré, mais la lecture de la Bible m’a redonné de l’espoir. En ces temps plus sombres, j’ai entrevu la lumière.
Comment décririez-vous votre style ? Je veux créer une musique nous rapprochant les uns des autres. Pour cela, tout est dans le rythme. Le nôtre s’accorde aux battements de cœur du public. Voilà pourquoi j’adore jouer avec un live band, symbolisant lui-même cet esprit de groupe.
Pourquoi êtes-vous tant attiré par la soul ? Cette musique s’adresse directement à l’esprit, elle se rapproche du gospel. Un vrai soulman garde toujours cela en tête. Beaucoup de chanteurs ont tendance à s’éterniser sur la chair, délivrant un message contraire…
Le sentiment amoureux semble omniprésent dans votre œuvre… Oui, c’est un sentiment indestructible et intemporel. C’est grâce à lui que nous réalisons les choses les plus folles ! L’un des moments les plus forts de ma vie reste ma rencontre avec ma femme. Nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre à la minute où nous nous sommes vus. Cinquante ans de mariage et toujours autant de passion ! Je tire aussi toute ma joie de la naissance de chacun de mes enfants. Pas des choses matérielles.
Votre mère a aussi joué un rôle important dans votre vie, n’est-ce pas ? C’était la meilleure personne qui soit. Elle m’inspire depuis ma naissance. Même si elle n’est plus là aujourd’hui, son esprit demeure. Du moins, si l’on croit en l’âme éternelle. J’espère qu’un jour je la rejoindrai, comme mon père, mon frère et d’autres.
En quoi a-t-elle influencé votre carrière ? Elle a créé tous mes costumes. Avec ma femme, elles pouvaient conduire toute la journée pour dénicher le bon tissu. Comme je joue de la soul, les gens ont tendance à me considérer comme un gars “old school”, mais j’ai toujours cherché quelque chose d’un peu futuriste. Peut-être parce que je lisais beaucoup. Je n’avais pas besoin de quitter ma maison pour voyager. Je pense que ça se ressent dans ma musique.
Comment êtes-vous passé de Lee Fields à Lee Fields and The Expressions ? Il y a quelques années deux hommes, Jeff Silverman et Leon Michels, m’ont appelé pour me proposer une chanson. J’étais persuadé qu’ils avaient mon âge et étaient noirs car ils se montraient incollables sur la soul. Mais j’ai vu débarquer chez moi deux gamins blancs à peine sortis de l’université (rires) ! Ce titre a entraîné la création de l’album Honey Dove, puis de Lee Fields and The Expressions !
De quoi parle votre nouvel album, It Rains Love ? Il repose sur une idée : subitement, il pleut de l’amour sur le monde. Lorsqu’une goutte te touche, tu te soucies de l’autre, qu’importe la couleur de sa peau. Cela te pousse à agir de manière positive, et à bâtir un monde meilleur.
A quoi pouvons-nous nous attendre sur scène ? A ce que je donne tout ! Quand je quitterai la scène, il ne me restera plus rien.
Qu’écoutez-vous en ce moment ? Un peu de hip-hop, pas mal de musique classique et beaucoup de soul, du reggae… En fait, j’écoute de tout, ça dépend vraiment de mon humeur ! Pour moi tout est affaire de rythme. Mon chanteur préféré reste Sam Cooke, ou encore Bobby Womack. J’apprécie aussi des chanteurs plus actuels comme John Legend.