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Cause commune

Fabrice Murgia © Jérôme Van Belle

A 35 ans, Fabrice Murgia a déjà signé une quinzaine de pièces, deux opéras, un moyen-métrage. Il a aussi obtenu un Lion d’argent à la Biennale de Venise. Sur le fil entre cinéma et théâtre, Sylvia, son dernier spectacle consacré à Sylvia Plath, est en tournée dans la région. Entre deux voyages, le directeur du Théâtre national Wallonie-Bruxelles nous présente cette immense poétesse américaine, figure de proue du féminisme, récompensée du prix Pulitzer à titre posthume. L’occasion de revenir sur la place des femmes dans la création contemporaine.

Comment avez-vous découvert le théâtre ? Un peu par hasard, car dans ma famille on n’y allait pas vraiment. Au sortir du lycée, je me suis inscrit au Conservatoire royal de Bruxelles, en art dramatique, où j’ai appris les bases du métier de comédien. Assez rapidement, pourtant, je ne me suis plus senti à ma place en tant qu’acteur, ressentant le besoin d’écrire.

N’avez-vous pas envisagé de monter des pièces du répertoire ? Non, et cette démarche m’a toujours semblé étrange. Même si certains le font très bien ! Je préfère la création pure et, pour chaque projet, je compose avec le son, les images et les comédiens. On qualifie souvent mon travail de pluridisciplinaire.

Comment est né le spectacle Sylvia ? Deux étudiantes de l’école de la Comédie de Saint-Etienne, où je dirigeais un atelier, m’ont fait découvrir le journal intime de Sylvia Plath. C’était en 2014 et depuis, je ne me suis jamais lassé de ce texte. Je me suis alors concentré sur ce matériau singulier. Il montre que la société américaine des années 1950 empêchait aux femmes d’écrire de la fiction. Sylvia Plath était tiraillée entre l’envie de correspondre au modèle de réussite de l’époque, celui de la femme au foyer, et son désir brûlant de créer. Elle a fini par se suicider, en 1963… Cela soulève la question de la création quand on est une femme.

SYLVIA / TEASER from Théâtre National / Bruxelles on Vimeo.

Comment cela se traduit-il au théâtre ? Sur scène, il y a neuf comédiennes qui réalisent un film sur la vie de Sylvia. Elles incarnent toutes l’auteure, réfléchissant à la façon dont on fabrique un poème. Quand résonne le mot “action”, nous plongeons dans les années 1950. à partir du “coupez “, nous revenons à notre époque. Le film en cours de tournage est simultanément projeté sur un écran. Cette juxtaposition de niveaux permet de zoomer sur les émotions de Sylvia, mais également de montrer à quel point Ted Hugues, son époux qui était aussi poète, fut un obstacle dans sa carrière.

(c) Hubert Amiel

(c) Hubert Amiel

Ce spectacle résonne avec ce que nous vivons aujourd’hui… En effet, il questionne la place des femmes, notamment dans le domaine de la création. Regardez le festival de bande dessinée d’Angoulême : en 45 ans, seule une poignée d’auteures ont été primées ! C’est le signe d’une injustice imposée socialement. En tant qu’homme je me sens l’allié de cette lutte. Par ailleurs, l’actualité récente, la libération de la parole dans le sillage de l’affaire Weinstein, conduit à s’interroger sur le comportement de chacun au quotidien.

Pourquoi Sylvia est-il présenté comme un “opéra-pop” ? En raison de l’importance accordée à la musique. De bout en bout, An Pierlé nous accompagne. Elle joue ses propres compositions en direct avec son quartette. Pour cela, elle s’est plongée elle-même dans les textes de Sylvia Plath. Elle s’est efforcée de traduire l’énergie découverte dans des carnets (ce que ressent l’auteure en enfourchant son vélo le matin, par exemple). L’idée étant de composer une BO de film, avec des moments de tension, des accents typiques des années cinquante.

(c) Hubert Amiel

(c) Hubert Amiel

Avez-vous déjà un autre spectacle à l’esprit ? Oui. Comme souvent, c’est parti d’une indignation, en l’occurrence un reportage d’Envoyé spécial sur Mayak, dans l’Oural. Cette ville russe fermée et ultra-surveillée a subi une grave catastrophe nucléaire dans les années 1950. Aujourd’hui encore, les gens boivent de l’eau contaminée. Je viens de rentrer d’un séjour sur place. Nous attaquons bientôt l’écriture…

Propos recueillis par Marine Durand
Informations
La Louvière, Le Théâtre
13.03.2019>15.03.201920h, 15/12€
Mons, Théâtre Le Manège
26.03.2019>15.03.201920h, 15>9€
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