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Monstres et merveilles

Attention, chef-d’oeuvre ! Publié en 2017 aux Etats-Unis, le premier livre d’Emil Ferris, 56 ans, a connu un succès fulgurant. « C’est l’une des plus grandes artistes de bande dessinée de notre temps » dit à son sujet le célèbre Art Spiegelman. Il a raison. Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est un roman graphique hors du commun, dans le fond comme dans la forme. Le premier tome est publié en France par les éditions Monsieur Toussaint Louverture. Mais qui est cette parfaite inconnue propulsée monstre sacré(e) de la BD ?

Ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Cet aphorisme nietzschéen, Emil Ferris l’a vérifié au moins deux fois. Née de parents artistes en 1962, à Chicago, elle grandit dans le quartier pauvre et violent d’Uptown. Pas sous les meilleurs auspices. « Petite, j’étais atteinte de scoliose, je n’ai pas pu marcher avant l’âge de trois ans. Et encore, de façon bizarre, confie l’Américaine. Je ressentais les pires douleurs, ressemblais à une bossue. Comme je ne pouvais pas découvrir le monde, je l’ai fait en dessinant, dès 16 mois. J’ai utilisé mon imagination pour m’évader ». Contrairement à ce que les médecins lui avaient prédit, elle vivra bien au-delà de 30 ans, deviendra maman, puis illustratrice et dessinatrice de jouets. Mais le sort s’acharne, comme dans les films de la MGM dont elle est mordue (son préféré : La Fiancée de Frankenstein).

Piqûre de rappel

©-Emil-Ferris-&-Monsieur-Toussaint-Louverture_Monstres_Planches_Simple_HD_2En 2002, mère célibataire, Emil Ferris célèbre son 40e anniversaire avec ses amis. Elle est piquée par un moustique… et s’effondre. « Je me suis réveillée trois semaines plus tard à l’hôpital, paralysée de la taille jusqu’aux pieds, et je ne pouvais plus bouger les mains ». Le diagnostic tombe : méningo-encéphalite. Elle vient d’être frappée par l’une des formes les plus graves du virus du Nil occidental, mais se bat. Encore. Convalescente, en fauteuil roulant, elle se scotche littéralement un stylo à la main pour continuer à dessiner, s’inscrit au Chicago Art Institute d’où elle sort diplômée, puis débute My Favorite Thing is Monsters. Elle ne sait alors « pas grand-chose de la BD », avoue-t-elle, mais clame son amour pour Frida Kahlo. « Elle m’a appris à instiller des émotions dans mon travail, sa peinture me parle. Elle était comme moi : en souffrance la plupart de sa vie. Je pense que nous sommes connectées… Ou alors, c’est peut-être la moustache ! ».

Bille en tête

Moustache ou pas, il lui faudra six ans pour achever ces 800 pages et essuyer 48 refus avant de les voir publiées, aux USA, en février 2017, chez l’éditeur indépendant Fantagraphics. Reconnaissons que l’oeuvre déroute. Dans la forme d’abord, sublime : le livre est intégralement réalisé au stylo à bille, sur des planches évoquant un carnet à spirales – le trait rappelle Crumb, Laurence Hyde ou Gustave Doré. Dans le fond ensuite. Mélange de policier, de fantastique, de drame familial et de journal intime, le récit est raconté du point de vue de Karen Reyes, 10 ans, avec ses mots emplis de candeur. Enfant d’immigrés, « amoureuse des filles », cette gamine se rêve en loup-garou et s’évade dans un monde peuplé de créatures d’épouvante.

©-Emil-Ferris-&-Monsieur-Toussaint-Louverture_Monstres_Planches_Double_HD_1

 

L’action se situe dans les années 1960, dans le quartier d’Uptown à Chicago (tiens tiens…) où elle vit avec sa superstitieuse de mère et son Don Juan de grand frère. Le jour de la Saint-Valentin, sa voisine, Anka, est retrouvée morte dans son appartement, une balle dans le coeur. Karen ne croit pas au suicide, enquête et découvre sa cohorte de “vrais” monstres, tapis dans les tréfonds de l’âme humaine. Dès lors, il sera question d’amour, de mystère, de quête existentielle, de résilience, d’ode à la différence… On l’aura compris, Emil Ferris a mis beaucoup d’elle dans cette fresque au souffle romanesque. Mais une question nous taraude : pourquoi un loup-garou ? « Parce que c’est ce que je voulais être ! dit-elle. Car il revient à nous-mêmes de nous définir ». Savoir qui tu es te rend plus fort.

Julien Damien & François Annycke

Exposition : Paris, 22.09 > 20.10, Galerie Martel, mar > sam : 14 h 30 > 19 h, gratuit, www.galeriemartel.com

Rencontres : Festival America, Paris, 22 & 23.09, Vincennes, sam : 10 h & 18 h, dim : 12 h & 15 h, 1 j : 12 €, 2 j : 20 €, festival-america.com // Formula Bula, Paris, 29.09, Médiathèque Françoise Sagan, 14 h, gratuit, formulabula.fr

A lire / Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, d’Emil Ferris, 416 p., 34,90 €, monsieurtoussaintlouverture.com

A visiter / emilferris.com

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