La Grande Sophie & Delphine de Vigan
Âmes sœurs
L’une est chanteuse, l’autre écrivaine. La première a publié sept albums, et la deuxième… sept romans. La Grande Sophie est devenue en 20 ans (et du haut de son mètre 78) une figure de proue d’une musique française lettrée et introspective. Delphine de Vigan joue les équilibristes sur ce fil ténu séparant fiction et réalité, et a connu le succès avec Rien ne s’oppose à la nuit puis D’après une histoire vraie, prix Renaudot en 2015. Les voici réunies dans un spectacle inédit, L’une et l’autre, dans lequel elles accordent leurs oeuvres si singulières.
Comment votre collaboration est-elle née ?
D.d.V. : Il y a trois ans, grâce au festival Tandem à Nevers qui invite chaque année un écrivain à partager la scène avec un autre artiste : peintre, acteur… Pour relever ce défi, je me suis tournée vers la chanson française, l’une de mes grandes sources d’inspiration, et La Grande Sophie dont j’écoute les disques depuis si longtemps. C’est le premier nom qui m’est venu à l’esprit, et bien m’en a pris ! (rires)
L.G.S. : De mon côté, j’étais très surprise et très honorée par cette invitation car Rien ne s’oppose à la nuit m’avait beaucoup marquée. On s’est rencontré à la faveur de ce one shot et une grande complicité est née entre nous.
Aviez-vous prévu de prolonger ce moment ?
D.d.V. : Ce n’était pas prémédité. Je pense que l’amitié a fait la différence.
L.G.S. : On a eu tellement de bons retours. Le public, persuadé qu’on se connaissait depuis des années, a lui aussi ressenti une grande émotion. Il aurait été dommage d’en rester là.
De quoi est-il question dans L’une et l’autre ?
D.d.V. : Il s’agit d’une réinvention, une véritable recréation. Nous racontons une histoire en mêlant des textes extraits de mes livres aux chansons de Sophie. On s’intéresse aux grandes étapes de la vie : l’enfance, l’entrée dans l’âge adulte, la rencontre amoureuse, la violence… Nous avons mis en commun tous ces thèmes présents dans nos travaux respectifs pour atteindre quelque chose, espérons-le, d’assez universel.
L.G.S. : Il est vrai qu’on a souvent abordé les mêmes questions. à tel point que chaque phrase se fait écho. Nos univers se mélangent au fur et à mesure du spectacle, si bien qu’on ne sait plus qui est l’une ou l’autre.
Vous avez donc évité la simple juxtaposition de textes et de chansons ?
D.d.V. : C’était l’une de nos priorités ! On refuse le schéma habituel des lectures musicales où chacun est assigné à son rôle : où le chanteur chante et l’écrivain lit, sans aucune interaction. L’idée était au contraire de sortir de notre zone de confort. Je me suis engagée sur le terrain de Sophie, chantant avec elle tandis qu’elle s’est mise à lire avec moi. Il ne s’agit ni d’une lecture musicale ni d’un concert littéraire mais d’un spectacle à part entière.
L.G.S. : Nous avons aussi accordé une grande importance au rythme. On évite ce côté binaire grâce au renfort indispensable de notre metteur en scène éric Soyer, bras droit de Joël Pommerat.
Comment avez-vous sélectionné vos oeuvres ?
D.d.V. : Je voulais que tous mes livres soient représentés et ils le sont, c’était un point de départ. Ensuite, connaissant le travail de Sophie, j’ai pointé certaines chansons répondant bien à mes textes. J’ai refeuilleté mes romans dans cet esprit.
L.G.S. : Nous n’avons pas vécu les mêmes choses, mais les livres de Delphine résonnent naturellement avec mes morceaux. Elle tenait effectivement à certains titres. Je pense notamment à Ringo Starr tiré de mon premier album. En insistant, elle m’a d’ailleurs tendu une perche : « si tu la connais par coeur, tu vas donc la chanter avec moi ! » (rires).
Y a-t-il des inédits dans ce spectacle ?
D.d.V. : Uniquement du côté de Sophie. Je pense à Je n’ai rien vu venir inspirée de sa lecture de mon premier roman (ndlr : Jours sans faim paru en 2001). Ce fut très émouvant pour moi !
L.G.S. : En effet, j’ai proposé des inédits recherchant l’épure, m’amenant vers un a cappella par exemple. Certains titres ne sortiront pas de ce spectacle.
D.d.V. : D’ailleurs, on s’est rendu compte qu’on abordait des sujets comparables, en employant souvent le même vocabulaire… Je suis sûre que l’on pourrait écrire un spectacle aussi intense sans utiliser la moindre chanson ou texte existants.
Pouvons-nous vous considérer comme un duo ?
L.G.S. : Bien sûr ! Nos deux univers se croisent, se tissent. Cette création nous a nourries l’une et l’autre, bousculant nos habitudes. A certains moments, je suis à l’écoute de Delphine, face au public, sans bouger… Je n’avais jamais connu une chose pareille ! Tellement difficile que j’ai demandé à travailler avec la vidéo pour me corriger. Et je me suis aperçue à quel point je gigotais (rires) ! Depuis, j’ai appris à me poser sans avoir peur du silence. Le moindre bruit s’entend dans ce spectacle, tout joue un rôle.
D.d.V. : J’écris et relis toujours à voix haute. Donc pour moi c’est un exercice familier de passer le texte à l’épreuve de l’oralité. Ici, mes mots doivent résonner avec ceux de Sophie. J’ai aussi souvent lu mes textes dans des librairies. Mais, c’est autrement plus intimidant d’avancer sur scène. C’est un espace qu’il m’a fallu apprivoiser.
Quels sont vos principaux points communs et différences ?
D.d.V. : On partage une certaine fantaisie. Sophie est une très grande personne, pas seulement en taille ! En plus d’être drôle et généreuse, elle a un talent fou. La petite chose qui nous sépare c’est peut-être toutes ses blagues de garçons (rires) ! Ses innombrables tournées entourée de mecs ont déteint sur son humour !
L.G.S. : Notre goût pour la fantaisie est effectivement explosif. Sinon, Delphine est plus organisée que moi (rires). Peut-être est-ce dû à nos formats d’expression respectifs : le temps de la chanson étant plus court que celui du roman. A côté d’elle, j’ai l’impression d’être complètement dispersée.
Rêves de lecture
7e édition déjà pour ce festival mêlant littérature et musique. En sus du spectacle L’une et l’autre, des duos éphémères composés d’un comédien et d’un instrumentiste parcourent l’agglomération dunkerquoise. Ils proposent une soixantaine de lectures musicales (de 40 minutes) de textes de six auteurs soigneusement choisis. Citons par exemple Aude Denis et la violoniste Maud Kauffmann qui (ré)interprètent Petit Piment d’Alain Mabanckou ou Mon petit coeur imbécile de Xavier-Laurent Petit. Des (fris)sons et des lettres.
L’une et l’autre :
Dunkerque, 16.01, Le Bateau Feu, 20 h, 9 € (dans le cadre de “Rêves de lecture”)
Marcq-en-Baroeul, 24.02, Théâtre Charcot, 20 h, 9 > 5 €
Rêves de lecture :
Agglomération de Dunkerque, 08 > 27.01, divers lieux et horaires, lectures musicales gratuites, ateliers : 4 €, programme complet sur www.lebateaufeu.com