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A visage découvert

Tom Haugomat (Hors-pistes, ed.Thierry Magnier, 2014)

Quel farceur ce Tom Haugomat. Il a effacé les visages de ses personnages ! Et donné naissance à un style vraiment singulier, et désormais très prisé. Ce Parisien de 29 ans, sorti de l’école des Gobelins en 2008, s’est d’abord fait connaître en réalisant avec son camarade de promo, Bruno Mangyoku, un film d’animation, Jean-François  (2009, Arte). Ce n’est qu’en 2012 que l’illustration s’est imposée à lui. Parallèlement à ses projets de films, il travaille pour la presse (XXI, Le Monde) et l’édition pour enfants. A Marche ou rêve (2012, CMDE), succèdera début octobre Hors-Pistes (ed. Thierry Magnier). Ce livre est le fruit d’une collaboration avec Maylis de Kerangal (Naissance d’un pont, Réparer les vivants,) qui s’est inspirée des images de ce conteur d’histoires sans parole pour y projeter son propre récit. Entretien avec un jeune homme plein d’avenir. Et pour qui le vide… remplit.

Comment définiriez-vous votre style ? Assez minimaliste. Quand je travaille sur une illustration, en général je concentre le regard sur quelque chose que j’ai détaillé et ensuite, je laisse place au blanc.

Pourquoi ?  J’aime qu’on puisse interpréter mon image, projeter ce que l’ont veut dedans. Je veux laisser de la place à l’imagination et ne surtout pas imposer mon point de vue au spectateur. C’est pour ça que j’avais vraiment envie de travailler avec Maylis de Kerangal. Je trouve qu’elle fait un travail assez descriptif et acéré. Dans ce qu’elle fait, tous les sens sont appelés, c’est un travail qui est très puissant alors que mes dessins sont au contraire assez enlevés. Je me disais que ça pouvait être compatible.

Jean-François (2009) from tom haugomat & bruno mangyoku on Vimeo.

Pourquoi composez-vous avec si peu de couleurs ? C’est ludique. Ce sont des systèmes à trouver, c’est assez rigolo à réaliser. Avec le moins de couleurs possible, j’essaye de donner le plus de profondeur au dessin. Je travaille souvent avec des couleurs qui se superposent. Un bleu et un rose qui produiront un marron… C’est une contrainte intéressante et assez créative.

Quelle technique utilisez-vous ?  Je travaille essentiellement sur ordinateur, avec une palette graphique, sur Photoshop, et je dessine directement sur l’écran, comme avec des feuilles.

Pourquoi ? Pour tout dire, j’ai eu un accident de voiture il y a trois ans qui m’a en partie paralysé la main. De ce fait, j’ai besoin de travailler grand puisque je ne peux plus faire de toutes petites choses précises comme je le faisais avant sur de petits carnets. La palette graphique me permet de travailler avec l’épaule, c’est vraiment un outil qui m’est devenu indispensable. Il me permet de travailler grand même si je fais des illustrations qui pourraient être imprimées en 5×5 cm.

tribute to drive from tom haugomat & bruno mangyoku on Vimeo.

Dans la plupart de vos illustrations vous effacez le regard des personnages. Pourquoi ? Pendant longtemps j’ai cherché des codes pour les yeux, le nez, l’expression, etc. Je n’ai jamais réussi à trouver quelque chose qui me plaisait vraiment. A la suite d’un accident, j’ai commencé une série de portraits de gens que je connaissais sans dessiner les visages. Je me suis alors rendu compte qu’ils étaient tout de suite plus reconnaissables. J’avais beau perfectionner la silhouette, l’attitude… dès que je dessinais le visage, la personne disparaissait. J’ai donc poursuivi dans cette direction. Un peu comme avec les masques de la tragédie grecque. Où l’on mise tout sur l’« acting », la façon dont le personnage se positionne, bouge, en transmettant le moins de choses possibles avec le visage. Désormais, j’ai du mal à à faire machine arrière, je parviens plus facilement à faire passer une émotion sans le visage.

Justement, quelles émotions souhaitez-vous susciter avec vos dessins ? C’est une question difficile. Je pense que mon travail est assez nostalgique, quelque-chose de l’ordre du souvenir.

On sent aussi une certaine forme d’oppression de l’homme face à la nature ou la société. Dénonciation ? Dessins engagés ? Je ne pense pas que mes dessins soient engagés. J’essaie de transmettre un ressenti. Peut-être avec une certaine angoisse liée à notre environnement, conscient que ça nous dépasse… Mais, je n’arrive pas à mettre des mots là-dessus. Ou peut-être si : la solitude.

Nuisible (teaser) from tom haugomat & bruno mangyoku on Vimeo.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?  Cela dépend. Ce livre sur la montagne (Hors-Pistes) évoque des souvenirs de vacances, dans les Alpes, lorsque j’atteignais des sommets avec mon père. Des souvenirs très puissants. D’ailleurs, j’avais très envie de voir ce que Maylis en tirerait. Evidemment elle n’est pas tombée dans le panneau. Elle n’a pas livré ce que j’attendais. Sinon, je puise beaucoup mon inspiration dans la rue. Et je suis souvent plus créatif quand je quitte Paris, confronté à des situations inhabituelles. Enfin, les films, les livres nourrissent aussi ma créativité.

Pour revenir sur votre collaboration avec Maylis de Kerangal, que raconte ce livre que vous sortez en octobre ? C’est une sorte de périple initiatique. Un ami de la famille qui emmène un petit garçon quelques jours à la montagne. Il y a une notion de transmission, sans les parents. On sent que l’adulte place le petit garçon à sa hauteur, dans une position inhabituelle. On n’est pas dans une relation de parent à parent mais d’adulte à adulte.

LE MEURTRE teaser from tom haugomat & bruno mangyoku on Vimeo.

Quelle est votre forme d’expression favorite ? Pour l’instant, c’est l’animation qui plonge vraiment le spectateur dans un état particulier. Le travail du son donne toute sa dimension à l’oeuvre. Le public est « obligé » d’être là, de « subir » le film. Par le son, par l’image en mouvement… Par contre c’est très long. Il faut travailler six mois, un an pour un court métrage.

Quels sont vos projets ?  Un important projet de livre qui est encore dans les placards. Il s’agit d’un diptyque reposant sur une série que j’ai réalisée à la gouache, il y a deux ans, et qui s’appellerait A travers. L’idée, c’est de suivre la vie d’un individu à travers quelque chose. A chaque fois, le personnage principal observe un objet, révélant une autre scène qui prend la forme de cet objet. Cet ouvrage comporterait une cinquantaine de diptyques qui retracent la vie d’un homme, sans texte. J’aimerais aussi continuer à publier des illustrations et des livres pour enfants. Et puis, développer avec Bruno des prises de vues réelles. Essayer de réaliser un court métrage, avec de vrais acteurs. Et pourquoi pas des longs- métrages !

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Hors-pistes

En partenariat avec la galerie Jeanne Robillard, carte blanche a été donnée à l’illustrateur Tom Haugomat, qui nous entraîne au cœur de la montagne. Maylis De Kerangal s’est emparée de ces images pour nous raconter l’histoire d’une aventure en hors-piste, d’un voyage qui entraînera les personnages plus loin qu’ils ne l’auraient imaginé. Paul a une dizaine d’années et considère Bruce comme une sorte d’oncle d’Amérique auréolé de mystère. Resurgi après trois ans de silence, l’homme a tenu la promesse qu’il avait faite à l’enfant : trois jours en montagne, un séjour pour découvrir l’univers particulier du hors-piste. Mais ce voyage va aussi être l’occasion de se découvrir soi-même et pourquoi pas d’apprendre à tracer sa propre piste. Un album comme une plongée en haute montagne, une aventure à couper le souffle, mais aussi l’exploration d’un univers graphique singulier grâce aux pages finales qui entrouvrent les portes de l’atelier de Tom Haugomat.

Éditions Thierry Magnier
www.editions-thierry-magnier.com

 

Propos recueillis par Julien Damien

A Lire : Marche ou rêve (2012, CMDE) et en octobre Hors-Pistes (ed. Thierry Magnier)

A visiter: MessieursDame, Les petites truffes

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