Agnès Gayraud
les (Rencontres) Inattendues
Dans le milieu de la musique, on rencontre rarement une figure aussi intéressante qu’Agnès Gayraud. Chanteuse du groupe La Féline, elle est également agrégée de philosophie et l’auteur d’une thèse sur Adorno. Ou lorsque la philosophie nourrit une pratique de la pop, et inversement. Stimulant.
Qu’est ce que la pop ?
Vaste question ! Je dirais que la popse définit entre autres par ses techniques d’enregistrement, son format, ses instruments. Il faut aussi parler des liens avec l’industrie, qui favorise sa diffusion et souligne une tension entre culture populaire et underground. Kurt Cobain demeure un bon exemple de ce déchirement.
Vos recherches portent sur le philosophe allemand Adorno (1903-1969). Quel est l’apport de sa pensée à l’étude de la pop ?
Lors de son exil à New-York, en 1938, il s’est associé à un laboratoire de recherche sur les radios. Selon lui, la pop représente une forme de décadence de la musique occidentale. Il ne s’y intéresse pas pour ses qualités artistiques, mais en tant qu’objet limité. Pourtant,on peut se servir de ses thèses pour défendre la pop.
Opposeriez-vous pop et musiques savantes ?
Non, ce sont deux formes différentes. La pop est trop souvent infériorisée par rapport à des formes plus savantes. Or, il n’est pas plus facile d’écrire une bonne pop song qu’une pièce de musique concrète. D’ailleurs, ces deux branches de la musique dialoguent parfois.
C’est-à-dire ?
Il existe des passerelles. La posture de Can, par exemple, ou d’autres artistes influencés par Stokhausen peut paraître savante, mais ces groupes demeurent pop. Et si l’on trouve leurs disques au milieu d’albums de Nirvana ou Blur, on trouve rarement des disques de Can chez les fans de musique concrète.
Y a-t-il de la pop dans la philosophie ?
Oui, il y a la Pop philosophie, terme inventé par Gilles Deleuze dans les années 70. Ce courant se penche sur des objets du quotidien. Mais cette “tradition” philosophique remonte aux Mythologies (1957) de Roland Barthes. Paradoxalement, ces philosophes pop se sont souvent penchés sur l’image, films ou séries, moins sur la musique.
Vous réclamez-vous de ce courant ?
Non. Car souvent, il y a comme un rapport de supériorité, de distance légèrement ironique, dans cette démarche du philosophe sur son objet. De mon côté, j’essaie de garder un regard neutre sur la pop.
À ÉCOUTER : La Féline, EP Echo (BaladesSonores) // À PARAÎTRE : Un ouvrage sur Adorno et les musiques
populaires, au titre encore inconnu (Éd. François Bourin, janvier 2014)
« Il est aussi difficile d’écrire une bonne pop song qu’une pièce de musique concrète »