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French connection

L’Amérique a les White Stripes ou les Kills. La France compte les Limiñanas, autre tandem ô combien essentiel et explosif. Couple à la scène comme à la ville, Lionel et Marie Limiñana furent longtemps considérés comme le secret mieux gardé du rock hexagonal, avant de casser la baraque… au pays de Tarantino. Logique : les Perpignanais subliment comme peu d’autres une musique née dans les sixties, entre rock garage et surf music : riffs de guitare psychédéliques, batterie implacable, fuzz à gogo et spoken word envoûté… Le duo sait également s’entourer, multipliant les connexions tous azimuts, de Peter Hook à Bertrand Belin, en passant par Anton Newcombe. Leur dernier album a cette fois été conçu avec… Laurent Garnier. Baptisé De Película, cet opus revisite le mythe de Roméo et Juliette à la sauce occitane. On se repasse le film avec Lionel Limiñana.

Pouvez-vous nous rappeler l’histoire de The Limiñanas ? C’est d’abord un couple. Marie et moi sommes ensemble depuis la nuit des temps. Dès qu’on s’est connus au lycée, on a fréquenté la scène underground, les concerts de garage, de punk. On achetait tous les disques qu’on trouvait, les fanzines… J’ai monté un premier groupe qui reprenait les Stooges tout en écrivant quelques compos, ça a été un apprentissage. Marie nous suivait, mais ne participait pas.

Comment avez-vous commencé à jouer ensemble ? Par hasard. J’avais fondé une autre formation, les Bellas. Un jour, le batteur n’est pas venu et Marie a pris sa place derrière les fûts. Mais au bout d’un moment, on avait le sentiment de ne jamais arriver au bout des choses, car nos groupes “splittaient” tout le temps. J’en avais marre…

Quel fut le déclic pour The Limiñanas ? Lors d’une session d’enregistrement chez Pascal Comelade. Il m’a mis un casque sur les oreilles et m’a dit “fais ce que tu veux”. J’ai composé cinq titres comme ça à la guitare, avec des fuzz, des wah wah, des drones… et puis je suis rentré chez moi en me disant que je lui avais bien fait perdre son temps. Quelques mois plus tard, il m’a envoyé un album à partir de mes compositions qu’il avait peaufinées avec son Bel Canto Orquestra. Cette séance-là m’a ouvert les yeux : on pouvait produire des disques autrement, sans subir le joug d’un groupe et ses compromis. J’en ai parlé à Marie et c’est comme ça qu’on a vraiment démarré tous les deux.

Paradoxalement, vous avez d’abord été repérés aux Etats-Unis… Oui, mais c’est de notre faute car on n’a démarché personne ici ! On avait bidouillé deux titres dans notre coin, pour le plaisir : I’m Dead et Migas 2000. On les a publiés sur MySpace un week-end et le mardi suivant un label de Chicago, Hozac Records, nous contactait pour les sortir en 45 tours. Le jeudi, c’est Trouble in Mind, une autre maison de Chicago, spécialisée dans le psychédélisme, qui voulait entendre d’autres chansons, et finira par publier notre premier album en 2010. Depuis, on n’a jamais arrêté.

Vous avez pas mal galéré avant de percer. Vous avez été démouleur de pères noël en chocolat, coupeur de salades… Oui, mais pour nous il n’avait jamais été question de vivre de la musique, ce n’était pas un moteur. On voulait simplement sortir des 45 tours, donner des concerts pour le plaisir… Et de toute façon, ce genre alors underground n’intéressait pas grand-monde à l’époque. Entre-temps, au tournant des années 2000 disons, Tarantino et un tas d’autres mecs ont contribué à populariser le garage punk, la surf music… ça a été notre chance.

Comment travaillez-vous tous les deux ? On a organisé la maison autour de la musique. Marie et moi composons ensemble puis, éventuellement, invitons des gens à intervenir sur nos morceaux. Pour les tournées, on a un groupe composé d’amis, assez stable, avec qui on perfectionne les arrangements pour le format concert.

J’ai lu que vous enregistriez seul la nuit dans votre sous-sol et que Marie prenait le relais, au matin, pour y ajouter ses batteries… C’est vrai. Je me lève très tôt le matin, bosse dès trois ou quatre heures tous les jours et puis Marie intervient ensuite. C’est un peu con, car on se connaît par cœur, mais il existe encore une timidité entre nous qui fait qu’on n’enregistre jamais dans la même pièce, car ça nous déstabilise.

Vous êtes issus de Perpignan. Et en quoi cette ville fut-elle importante dans le façonnement de votre son ? Quand on était mômes, dans les années 1980 et 1990, on s’ennuyait beaucoup. Perpignan est une petite ville du sud, très cool pour aller à la plage, par contre il n’y avait pas grand-chose à y faire. Mais pour des raisons que je ne peux expliquer, il y avait beaucoup de très bons libraires et disquaires dont certains étaient hyper pointus, notamment dans l’import anglais ou américain. J’y traînais dès la primaire, le mercredi après-midi et le samedi, avec trente balles en poche. Le disque ou le livre devenait alors l’objet de tout mon intérêt.

Par exemple ? Je me rappelle très bien lorsque mon frère a ramené London Calling des Clash, on a dû l’écouter tous les jours durant un an ! Idem pour les Stooges ou les Cramps, on était obsédés par les notes sur les pochettes, en total immersion dans le disque. On s’est beaucoup imprégné à cette époque, on était hyper voraces. Inconsciemment, ça a vachement influencé notre jeu de guitare, notre façon d’aborder le son. Aujourd’hui, moins de choses m’excitent mais à ce moment-là, le seul truc qui comptait pour moi, c’était de trouver 60 francs pour acheter un disque. Perpignan nous a donc permis de nous intéresser à pleins de trucs, parce qu’on s’y emmerdait !

Comment définir le style de The Limiñanas ? La musique primitive américaine et anglaise des années 1960, donc le garage punk des sixties, reste ce qui me branche plus. C’est vraiment la base de notre son. On pratique une musique à trois accords, répétitive, hyper-simple, tout en assumant nos autres influences, très larges : ça va d’Andrew Weatherall (qui nous a invités une paire de fois dans ses festivals) à Joy Division, New Order, The Jesus and Mary Chain ou récemment Sleaford Mods. On est des espèces d’éponges.

Concrètement, comment composez-vous ? On réalise la plupart des choses nous-mêmes, sans être des producteurs et des ingénieurs du son, manipulant des outils pour enregistrer de manière assez basique avec toutes les erreurs qui en découlent. Mais ces accidents participent aussi de notre musique et on a appris à les garder, on est très désinhibés par rapport à ça car la seule variable importante pour nous, c’est l’excitation de l’écoute. A la façon d’un François de Roubaix, qui mélangeait des instruments chinés au cours de voyages, on achète les nôtres un peu partout dans le monde, mêlant des instruments grecs ou marocains avec des fuzz soviétiques, des guitares électriques…

Un peu à la “Do it yourself” ? C’est ça, le plus sincèrement possible. Dans les années 1990, on appartenait à une scène sans argent, on enregistrait nos 45 tours nous-mêmes, dans un petit studio à Montpellier ou chez nous. On n’a jamais été suivis par de grandes maisons de disques, on a appris à travailler avec les moyens du bord et ça nous a sauvé car on n’a pas besoin de gros budget. Finalement, on a toujours suivi le même chemin, sauf que ça intéresse plus de monde aujourd’hui.

Parlons de ce nouvel album, De Película. Comment est-il né ? L’histoire du disque débute avec Laurent Garnier. Il s’occupe avec deux potes de la programmation du festival Yeah à Lourmarin. Une année, Laurent nous a invités à jouer et on a adoré cette rencontre. En rentrant chez nous, je lui ai envoyé les pistes de Dimanche avec Bertrand Belin, et Laurent a remixé la chanson. Et puis est arrivé le confinement. On a commencé à travailler sur cet album à ce moment-là, quand nos tournées respectives furent annulées. On a bossé à distance, en s’envoyant nos maquettes.

Le disque est très narratif. S’agissait-il de composer un disque comme la BO d’un film imaginaire ? Ce n’était pas prémédité. Un peu avant, Pascal Comelade nous avait fait découvrir Can, et on est totalement tombé dedans, ayant tendance à rallonger nos chansons en tournée, allant vers une musique plus répétitive, la “transe”. En discutant avec Laurent, on a donc soumis cette idée de longs morceaux instrumentaux. J’avais déjà les personnages de l’album en tête. On aime bien travailler nos disques comme des histoires, avec un début, un milieu et une fin, un peu comme dans les années 1970 et des albums comme L’Homme à tête de chou de Gainsbourg. On retrouve aussi ça aussi chez Dutronc. Aujourd’hui, c’est plus un truc de rap, de musiques urbaines.

L’album s’ouvre sur l’histoire de Saul, “un petit mec de province qui aime la musique et le cinéma”… ça vous ressemble un peu, non ? C’est typiquement le profil qu’on fréquentait au lycée, c’est nous et nos potes en gros : des garçons et des filles à la marge, qui écoutent une musique et voient des films différents, veulent vivre autrement. On appartenait tous à des bandes qui depuis ont disparu des cours de récré : les mods, les punks, les babas, les skins… On s’est nourris les uns les autres. Depuis Shadow People, l’album précédent, on parle beaucoup de ce type de personnage.

Vous travaillez souvent en collaboration… Pourquoi ? Le duo est pour nous synonyme de liberté : dans la production mais aussi parce que cela nous offre la possibilité de travailler avec des tas de gens différents. On a toujours fonctionné comme ça, au début on invitait ceux de notre entourage, dans un rayon de trois kilomètres, donc pas forcement connus. A une époque je bossais à la Fnac et si j’entendais un accent qui me plaisait au détour d’ un bureau, et bien j’invitais la personne à la maison pour l’enregistrer. C’est la même chose aujourd’hui, sauf qu’on collabore avec des mecs comme Peter Hook. Quand il nous a envoyé ses lignes de basse pour The Gift, on était comme des gosses !

Quel est le format du concert ? On est sept sur scène, avec notre live band. C’est très électrique, il y a un mur de guitares et puis on travaille avec des écrans, des projections, donnant au concert cet aspect cinématographique propre au disque. Edi Pistolas nous accompagne également lors de cette tournée, pour s’occuper de la partie électronique et chanter une partie de notre répertoire.

Quels sont vos projets ? On bosse en ce moment avec un artiste electro, Golden Bug. J’ai terminé la musique d’un documentaire sur l’actrice porno Linda Lovelace et un autre sur Billy Milligan. On a aussi envoyé des démos à Brigitte Fontaine, et on bosse déjà sur le prochain album…

Propos recueillis par Julien Damien // Photos : © Mathieu Zazzo
Concert(s)
THE LIMIÑANAS
Lille, L'Aéronef

Site internet : http://www.aeronef-spectacles.com/

05.12.2021 à 18h3026>19€

À ÉCOUTER / De Película, The Limiñanas & Laurent Garnier (Because Music)

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