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En terre étrangère

Cinéma, littérature, théâtre… mais aussi opéra ! Décidément touche-àtout, Christophe Honoré ouvre la saison de l’Opéra de Lille avec une audacieuse mise en scène de Così fan tutte. Le réalisateur des Chansons d’amour transpose le chef-d’oeuvre de Mozart dans une Afrique sous domination mussolinienne, durant les années 1930. Quitte à bousculer les traditions.

Così fan tutte est une oeuvre phare… n’avez-vous pas eu peur au moment de vous y atteler ? Quand le festival d’Aix-en-Provence me l’a proposée, j’ai dit “oui” spontanément. N’appartenant pas au monde lyrique, je n’ai pas d’appréhension face aux oeuvres dites de patrimoine. Mon approche est assez naïve et innocente. Pour autant, j’ai conscience que la musique de Mozart est complexe. Des passages semblent joyeux tandis que les personnages sont plongés dans une détresse absolue. On peut difficilement l’envisager en suivant le texte à la lettre. Il ne faut pas avoir peur d’aller chercher l’émotion.

Pourquoi situer l’opéra dans les années 1930, dans l’Afrique coloniale, sous l’emprise de Mussolini ? Così fan tutte raconte l’histoire de deux militaires qui se déguisent en étrangers pour séduire à nouveau leurs femmes. Ils ne choisissent pas ce camouflage par hasard : ils parient sur la fidélité de leurs fiancées… et sur le mépris qu’ont celles-ci pour les étrangers. Je me suis donc interrogé. Dans quel contexte deux hommes seraient-ils persuadés que leurs fiancées considèrent l’étranger comme un être inférieur ? A quelle époque une catégorie d’individus a-t-elle pu s’imaginer supérieure ? Voilà comment l’idée du contexte colonial est née.

Cela favorise-t-il une approche nouvelle sur le fond ? On reconnaît volontiers que la musique de Così est sublime, mais on juge souvent le livret de Da Ponte avec condescendance. En le relisant, j’ai trouvé que cette façon de déshabiller la domination masculine, le désir et la cruauté, méritait d’être réentendue.

Comment travaillez-vous avec la directrice musicale, Emmanuelle Haïm ? C’est une direction partagée, en confiance. Pour certains chefs, il est difficile d’accorder autant d’importance au metteur en scène. Il y a une vingtaine d’années, ils assuraient souvent eux-mêmes la mise en scène. Pour ma génération, la dramaturgie renforce l’intérêt d’un spectacle, la lecture qu’on propose d’une oeuvre. Or, le chef n’a pas toujours le temps d’explorer cette question. 

Comment décrire votre rapport à la musique, très présente dans vos films et pièces de théâtre ? Je m’en sers comme d’un ressort dramaturgique important. Elle peut imposer un rythme aux scènes, ou donner un sens grâce au texte d’une chanson. Je choisis en général les musiques avant le tournage, et j’en diffuse sur le plateau, notamment pour émouvoir les comédiens. Loin d’être une béquille, c’est un outil essentiel.

En quoi est-ce différent de diriger des chanteurs ? Ils sont moins paresseux que les acteurs ! Ils arrivent le premier jour de répétition en ayant déjà beaucoup travaillé la partition. Du coup, ils sont réceptifs aux nouvelles idées. C’est très agréable, même si leur obsession de la performance vocale affecte parfois l’incarnation des personnages. Mais j’ai la chance de travailler avec de jeunes chanteurs, conscients qu’ils ont tout à gagner à être de bons acteurs. Avoir une belle voix ne suffit plus pour être remarqué sur un plateau d’opéra. Il faut aussi introduire du mystère, de l’humour… ces éléments appartenant au jeu d’acteur.

Les réactions lors de la présentation à Aix-en-Provence furent très partagées… Cela compte-t-il pour vous ? J’ai compris depuis longtemps que le metteur en scène était la personne maudite à l’opéra. Si le public s’ouvre peu à peu, il faut admettre qu’une majorité de spectateurs aiment voir les mêmes spectacles, mis en scène de façon classique. Si vous ne leur servez pas Così fan tutte au XVIIIe siècle, avec perruques et moustaches, ils estiment que vous détruisez leur jouet ! Comme un enfant réclamant perpétuellement la même histoire… En tant que metteur en scène, je choisis le camp des progressistes. Le jour où je serai face à un public unanime, je m’inquiéterai quant à mon embourgeoisement

Propos recueillis par Madeleine Bourgois
Informations
Lille, Opéra

Site internet : http://www.opera-lille.fr

30.09.2017>12.10.2017sam : 18 h, mar, jeu : 19 h 30, dim : 16 h, 71 > 5 €
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