Home Cinéma Guy Ribes

La grande illusion

Durant trente ans, Guy Ribes a inondé le marché de l’art de toiles qu’il réalisait “à la manière” des grands maîtres. Pas n’importe lesquels : Picasso, Renoir, Dali… Il est sans doute le plus grand faussaire jamais découvert en France. Rencontre avec un peintre voyou.

Guy Ribes, c’est un peu Depardieu dans un film de Blier. Pour situer : un type affublé d’une pipe et d’un chapeau, tout en rondeur et en gouaille – qui lâche par exemple dans le documentaire que lui consacre Jean-Luc Leon* : «J’me rappelle plus de mes chiens que d’mes gonzesses ».  A bien des égards, notre homme aurait aussi pu être comédien. Ce qu’il fut un peu d’ailleurs : c’est lui qui prête ses mains à Michel Bouquet dans Renoir de Gilles Bourdos (2013). Mais c’est dans un autre domaine qu’il s’est fait un nom : la peinture. Dans un registre très particulier… Guy Ribes est sans doute le plus grand faussaire français. Interpellé en 2005 puis condamné en 2010, il a purgé sa peine, comme on dit. Durant trente ans, il fut tour à tour Picasso, Matisse, Modigliani, Léger… On en passe. « J’ai imité près de 200 peintres », clame celui qui se définit comme un artiste. « Attention ! Je n’ai jamais réalisé de copies, je créais des tableaux qui n’existaient pas ». Ses oeuvres sont exécutées “à la manière de”. Comme si les grands maîtres les avaient eux-mêmes imaginées. Son talent a dupé les plus grands spécialistes. Son secret ? « Je me documentais énormément, j’arpentais les musées. J’étais aussi en contact avec des galeristes qui possédaient de vraies toiles. J’en empruntais certaines pour m’en imprégner, confie-t-il. Ensuite, je me glissais dans la peau de ces peintres. Lorsque je réalisais un Picasso, j’étais Picasso. Quand je peignais un Chagall, j’étais Chagall… Mais plus que la technique, c’est l’âme qui est difficile à saisir ».

Bordel

Guy Ribes a pourtant grandi loin des pinceaux. Plus précisément dans une maison close, à Roanne. Un père proxénète, une mère gitane qui deviendra voyante… « Quand mes parents ont été arrêtés suite à la loi Marthe Richard*, j’ai été placé chez les jésuites. C’est là qu’on m’a initié à la peinture ». A 15 ans, le voilà apprenti dans un atelier de soierie, à Lyon. « J’y ai appris les couleurs, les motifs, et surtout à bien dessiner ». Il dort à l’occasion sur les banquettes des rades du coin, fréquente le “milieu”. « Un jour, des types m’ont demandé de brosser le portrait d’une vieille dame. J’ai découvert ensuite qu’il s’agissait de la mère du parrain corse “Mémé” Guérini ». Il devient alors le peintre des voyous. Quelques années plus tard, installé dans le Sud de la France, il enchaîne les aquarelles. Des marines, des paysages… « J’en produisais par centaines, mais ça restait des commandes commerciales…Il difficile de percer pour un peintre issu d’un milieu populaire. C’est frustrant quand vous savez que vous pouvez faire autre chose ».

Cette « autre chose », survient dans les années 1980, suite à la rencontre d’Henri Guillard. Celui-ci possédait une imprimerie à Paris où Guy Ribes tirait ses lithographies. « Une fois je lui ai ramené une gouache de Chagall que j’avais peinte comme ça, puis un Picasso… ». Guillard l’encourage, puis lui présente un certain Léon Amiel. « C’était LE marchand de Chagall ! ». A eux trois, il vont inonder le marché de l’art. Et s’en mettre plein les fouilles… Un Matisse qu’on lui achetait 10 000 euros pouvait être revendu plusieurs millions. Notons que la justice saisira environ 400 toiles… Sans doute la partie émergée de l’iceberg : on estime à plusieurs centaines, voire milliers, le nombre de ces faux en circulation. Certains (beaucoup ?) resteraient accrochés dans des galeries ou des musées… « J’ai gagné énormément d’argent, j’ai tout craqué et j’ai bien fait car on m’aurait tout pris ! »

Un Vrai faussaire © Jean-Luc Leon / Pretty Pictures

Un Vrai faussaire © Jean-Luc Leon / Pretty Pictures

Des pieds nickelés

Les ennuis commenceront à la disparition de ses complices. « Henri et Léon sont morts à un mois d’intervalle, le rêve était fini… C’étaient des gens qui aimaient l’art, on sortait de la haute qualité, aucun tableau ne nous a jamais été retourné. Comme ils étaient milliardaires, il y avait une grande part de jeu, on se moquait un peu du marché de l’art. se souvient-il. J’ai été arrêté parce que les derniers types pour qui je travaillais étaient des rigolos, obsédés par l’argent. Les toiles étaient médiocres, ça a pété de partout ! » Notre homme n’est pas dupe : « Je savais que la police me suivait depuis un bail, mais elle ne pouvait pas me coincer car je ne vendais pas. Aucune loi ne m’interdit de concevoir un Picasso chez moi, si je n’en fais pas commerce… ». Et puis ce qui devait arriver arriva. Le 5 janvier 2005, tout s’achève brutalement. Les policiers interpellent un de ses clients à la sortie d’une brasserie où ils concluaient une transaction. Dans le coffre de sa voiture ils découvrent des oeuvres signées Dali, Vlaminck… « Quand ils m’ont arrêté, j’étais presque soulagé », confesse l’ex-faussaire. Durant 30 ans, notre homme s’était effacé derrière les grands maîtres, au point de se perdre lui-même. « Je suis devenu peintre le jour de mon arrestation », aime-t-il à déclarer. Douze ans plus tard, à 68 balais, Guy Ribes est rangé des mauvais coups. Il a écrit son autobiographie, vend sa propre peinture, tendance abstraite. Il s’est aujourd’hui fait un autre nom. Le sien.

* Loi qui imposa la fermeture des “maisons de tolérance”.

 

A LIRE AUSSI : CECI N’EST PAS UNE COPIE, L’EXPO QUI DECALE LE REGARD

A LIRE AUSSI : LES PLUS BELLES ESCROQUERIES SELON ERIC YUNG

Julien Damien

A visiter : www.facebook.com/guy.ribes.77

A voir : Un vrai faussaire, documentaire de Jean-Luc Leon (Pretty Pictures), 16,35 €, prettypictures.fr

A lire : Autoportrait d’un faussaire, Guy Ribes & Jean-Baptiste Péretié, Presses de la Cité, 240 p., 19 €, www.pressesdelacite.com

Articles similaires