Dom Juan ou le Festin de Pierre
Libertin repensé
Dom Juan fait partie de ces personnages ancrés dans l’imaginaire collectif. Vous croyez bien le connaître ? Sûr ? Revu et corrigé par David Bobée, le héros de Molière, manipulateur et bourreau des coeurs, traduit aussi la parfaite figure du patriarcat. Toute ressemblance avec des situations réelles n’a évidemment rien de fortuit…
Membre fondateur de l’association Décoloniser les arts, David Bobée se distingue par son engagement en faveur d’une plus grande diversité (de sexes, d’origines) sur les planches. Pour sa première mise en scène en tant que directeur du Théâtre du Nord, il s’attaque à Dom Juan, une icône du théâtre dont il livre une lecture très politique. « Je n’aurais jamais cru monter cette pièce, ni même monter un Molière », confie celui qui a pris les rênes de la maison lilloise en 2021. Pourtant, nous y voilà. Ce fieffé menteur et séducteur est apparu comme le candidat idéal « pour participer aux débats qui animent notre époque, explique l’intéressé. Toutes les discriminations contre lesquelles on lutte se retrouvent dans cette pièce. Chaque scène représente une forme d’écrasement de l’autre en raison de sa classe sociale, de son âge, de son sexe ou de son accent… ».
Inversion des rôles
Dom Juan serait donc une statue à déboulonner, comme celles, immenses, échouées sur le plateau. Ce choix scénographique rappelle les images de monuments glorifiant le colonialisme mis à terre par des militants antiracistes à travers le monde dans le sillage du mouvement Black Lives Matter. David Bobée a confié le rôle principal au jeune Radouan Leflahi, qui s’était déjà illustré dans son Peer Gynt, tandis que Sganarelle, le célèbre valet du héros, est lui joué par un comédien noir – histoire d’appuyer cette fameuse domination. Le metteur en scène a aussi choisi de transformer deux rôles masculins en personnages féminins – le frère d’Elvire, l’épouse trompée de Dom Juan, et le père de celui-ci. « Depuis trop longtemps au théâtre, les femmes sont réduites à des objets sexuels, des vierges à marier ou des servantes. J’ai voulu rompre avec cette tradition ennuyeuse et confier à des actrices des partitions riches ». Ou comment réinscrire un classique du répertoire dans notre temps, sans le dénaturer.