Cria
L'âme des favelas
Depuis une poignée de saisons, Alice Ripoll est de tous les festivals de danse. Avec sa compagnie Suave, la chorégraphe brésilienne offre un regard neuf sur la culture de son pays. Cria, sa dernière pièce, est un shoot de vie et de sensualité au sein d’une nation rongée par la violence.
Le plateau nu, silencieux, s’embrase soudain. Un premier danseur déboule sur un funk métissé, bientôt rejoint par deux, cinq puis neuf interprètes, traversant la scène tout en jeux de jambes, moulinés de bras et déhanchés. Ces dix corps à moitié couverts de shorts à paillettes, boléros en fourrure ou leggings colorés, dévoilent une capoeira teintée de voguing et de breakdance. En réalité, il s’agit d’une version personnelle de la dancinha, cette danse hybride née, comme la plupart des membres du collectif, dans les favelas de Rio. Alice Ripoll aurait pu se contenter de cette énergie-là, de ce ballet de silhouettes moelleuses ou musculeuses magnifiquement assumées, embrassant le cliché auriverde autant qu’elle le dynamite. Mais ces artistes « ne reproduisent pas seulement une chorégraphie, ils occupent une place dans le monde », insiste-t-elle. Durant les moments de calme (déambulations silencieuses ou théâtre de geste) introduits après 20 minutes explosives, on entrevoit la personnalité de chacun. Plus drôles, forcément plus fragiles en dehors du groupe, ils cherchent tous dans la création une forme d’épanouissement. Dans un pays où l’art est plus que jamais menacé depuis l’arrivée de Bolsonaro, saluons cette forme de résistance.