Mélissa Laveaux
Voodoo Child
Festival Esperanzah!D’emblée, on reconnaît chez Mélissa Laveaux le regard pétillant des créateurs passionnés. Guitariste, auteure, compositrice et interprète, la Canadienne concasse pop, rock, punk et le calypso hérité de ses origines haïtiennes. De retour avec un 3e album intitulé Radyo Siwèl, fruit de sa fascination pour l’histoire d’Haïti, elle se prête avec simplicité au jeu de l’interview. Rencontre avec une artiste au sourire généreux, afro-féministe militante et homosexuelle assumée.
Comment présenteriez-vous votre musique ? Ça dépend. Chaque disque représente une période de ma vie, différentes manières de m’exprimer. Mon premier opus était très folk canadien avec des références à mon pays d’origine. Le deuxième mélangeait pop rock et afro-beat. Dans Radyo Siwèl, je revisite les chansons haïtiennes des années 1920. On reconnaît parfois le son rock des seventies, ou celui d’un grand orchestre des années 1950. Ça bouge ! Disons que c’est du rock indé haïtien.
Pourquoi une telle variation ? C’est lié aux guitares. À chaque fois, j’en choisis une nouvelle et mon son évolue. Cela dit, il y aura toujours un fond pop dans ma musique car j’ai baigné dedans. Mes textes racontent systématiquement une histoire, je me contente de les interpréter.
Comment la musique est-elle apparue dans votre vie ? A six ans, j’ai voulu rejoindre une sympathique bande d’Italiennes de ma classe (je crois que j’étais un peu amoureuse…) qui prenaient des cours de piano. A défaut d’apprendre leur langue, j’ai voulu suivre aussi ces leçons. Malheureusement, on m’a volé le chèque le jour de l’inscription… Cette mésaventure a quand même suscité chez moi l’envie d’être musicienne. A l’âge de 12 ans, mon père m’a alors offert une guitare d’occasion. Dans les familles haïtiennes, il y a des rassemblements durant lesquels les parents mettent en avant leurs enfants. J’ai profité d’une de ces réunions pour jouer. C’était tellement mauvais qu’on m’a suggéré d’arrêter ! Cela m’a refroidie durant de longues années, et n’ai repris qu’en fin de scolarité, à l’université d’Ottawa.
Parmi les artistes qui vous ont inspirée (Nina Simone, Joni Mitchell ou Lhasa), on trouve Martha Jean-Claude. Qui est-elle ? C’était l’une des voix les plus singulières de la chanson haïtienne, à la fois grave et aiguë, mais aussi une figure militante. Pendant les années 1950 elle a régulièrement critiqué le président et fini derrière les barreaux. A la suite d’une énième incarcération, enceinte de son troisième enfant, elle est partie avec son mari à Cuba. Elle y a vécu 34 ans et joué avec des orchestres locaux. Mes meilleurs souvenirs musicaux sont liés à son disque Canciones de Haïti. Il a énormément influencé la manière dont je place ma voix.
Vous parlez et écrivez en anglais, français et créole. Quelle langue traduit-elle le mieux vos émotions ou révoltes ? Comme de nombreux Canadiens bilingues ou trilingues dont les parents sont étrangers, les langues se mélangent. Il m’est impossible de choisir. En fait, cela dépend de la personne à laquelle je m’adresse. J’ai toujours quelqu’un à l’esprit lorsque j’écris et interprète une chanson, ma grand-mère, une amoureuse… n’importe qui. On chante plus joliment si le morceau est incarné, quand ça vient du cœur.
Quelle place la culture haïtienne occupe-t-elle dans votre histoire ? Il est essentiel de savoir d’où l’on vient pour se construire. Et je suis particulièrement fière de mes origines haïtiennes. La résistance de ce peuple lors de l’occupation américaine de 1915 à 1934 force le respect.
Que pouvez-vous nous dire du vaudou haïtien ? C’est un pilier de notre culture, à tel point que pratiquants ou non pratiquants veillent à ne pas traverser un cimetière un samedi soir en sifflant, par exemple ! Ça peut sembler anecdotique, mais le vaudou fut un outil important pour mon peuple…
Dans quel sens ? Comme un moyen de résistance ! Contre les Français et les Américains qui craignaient la population à cause de cette religion. Ils ont même essayé d’interdire sa pratique, de fermer les lakous (ndlr. temples vaudous), cherchant à la diaboliser. En vain, car si mes ancêtres ont survécu à toutes ces années d’esclavage, cela prouve que la formule fonctionne…
Comment peut-on décrire votre nouvel album, Radio Siwèl, majoritairement interprété en créole ? C’est une relecture de chansons datant de l’occupation américaine. Les paroles comportent un double sens et se moquent des Américains. D’autres appartiennent au folklore haïtien et expriment les lamentations, la tristesse ou célèbrent le vaudou en cachette.
À quoi peut-on s’attendre sur scène ? J’ai envie de m’exprimer en petit comité et de faire danser. Je présente chaque chanson pour que le public sache sur quoi il chaloupe. Les Haïtiens dansent tout le temps. Même au moment où Trump les a insultés, ils se sont réunis en masse devant la Trump Tower pour chanter. Alors on espère que les gens se trémousseront !
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