Home Musique La Route du Rock 2017

Comme si vous y étiez

© Nicolas Joubard

Ah, la Route du Rock ! Une institution ? Oui, pour tous les amoureux de pop et de rock indé – au sens large. Mais une institution à l’économie fragile qui, pour sa 27e édition, a doublé son budget “artistes”, afin de s’offrir quelques grands noms (PJ Harvey, Interpol, DJ Shadow, The Jesus And Mary Chain…). Une fois encore, on s’extasie sur le cadre du concert – du Fort Saint-Père à la plage de Saint-Malo – et on oublie un peu les désagréments techniques – il suffit de jeter un œil à la page Facebook où les doléances s’amoncellent. Bref, une programmation aussi exigeante que son public, parmi les plus râleurs qui soient – mais reconnaissons que c’est aussi cette alchimie si particulière entre de vieux habitués et une organisation à l’écoute qui fait de la Route du Rock un festival à part. De notre côté, on regrettera simplement le principe de “toute sortie définitive”. À quoi bon ? Aller et venir librement aurait permis de ne pas se traîner un pull ou une parka pour rien. Et de désengorger le site de temps à autres. Bah, broutilles, comparé à ce qui nous fut offert sur les différentes scènes…Après trois nuits forcément trop courtes, on se remémore les nombreux éclats de génie qui ont émaillé ce long week-end. Des artistes que vous retrouverez (ou pas) dans nos pages tut au long de l’année. Bien sûr, il y eut quelques moments d’ennui et d’incompréhension aussi, parfois. On pourrait évidemment vous détailler par le menu chacun de ces trois soirs mais, franchement, on va vous épargner ça… Ce serait un peu comme vous raconter une fête à laquelle vous n’êtes pas venus. Compte-rendu partiel et partial d’une édition mémorable.

La + belle découverte : Kaitlyn Aurelia Smith

On le sait, la Route du Rock n’a jamais misé sur les “têtes d’affiches” et les gros noms – enfin si, parfois, mais ça ne lui a pas toujours réussi : on se souvient de l’annulation capricieuse de Björk et de ses fans souhaitant se faire rembourser, découvrant par la même occasion le principe du festival. Bref, cette année les organisateurs ont changé leur politique et calé un nom fédérateur chaque soir (PJ Harvey, The Jesus And Mary Chain, Interpol). Mais hors de question de sacrifier l’amour de la découverte ! Dans ce registre, c’est l’Américaine Kaitlyn Aurelia Smith qui aura remporté tous nos suffrages. Totalement passés à côté des magnifiques Ears (2016) et Euclid (2015) nous fûmes cueillis comme des fruits mûrs par cette pop électronique rêveuse et transgenre, tout en nappes distordues et voix transformées. On songe, en vrac, aux œuvres étranges de Holly Herndon, Pye Corner Audio ou Julianna Barwick. On aurait pu découvrir tout ceci chez le disquaire ou calé derrière notre ordi. Franchement, on ne regrette pas d’avoir eu la prime saveur de cette pop mutante sous le ciel bleu, les pieds dans le sable et la mer en fond de salle.

 

 La + “Et dire que des malheureux font encore la queue!” : PJ Harvey

Quelle entrée ! L’Anglaise et ses musiciens s’avancent sur scène, impériaux, au son d’une musique militaire. Et puis… Et puis, PJ Harvey déroula, à la fois tranquille et habitée, piochant dans son vaste répertoire, depuis ses débuts arides jusqu’aux récents joyaux (dont Let England Shake). Le public, lui, avait répondu présent pour applaudir cette diva indie à l’étrange parcours. On se souvient encore de son concert donné le 16 août 1998 en ces mêmes lieux. Cette année, nous étions loin de l’énergie revêche d’alors. C’est que PJ a fait du chemin, pris de la bouteille, délaissé la rage et les déflagrations noisy pour des pièces à l’écriture plus ambitieuse, sophistiquée, mais tout aussi touchante. Et même si elle s’est parfois perdue en chemin, le public a répondu présent – en souvenir de sa jeunesse ? Oh, peut-être. Sans doute y avait-il un peu de nostalgie dans les yeux de certains. Mais au fond des oreilles, ce sont bien les chansons de la dame, antiques ou modernes, qui faisaient chavirer les cœurs. On a également apprécié de voir la chanteuse se reculer de quelques pas pour empoigner le saxophone avec ses collègues (dont Mick Harvey) renforçant l’impression de “vrai” groupe. Belle preuve d’humilité.

 

©Nicolas Joubard

©Nicolas Joubard

 

Le + stakhanoviste : Thee Oh Sees

John Dwyer et ses amis (dont deux batteurs) ont pioché dans quelques-uns de leurs 425 albums pour bâtir un set sans temps mort et sous tension. Après des années à parcourir à peu près tout ce que le monde libre compte de scènes, on s’interroge – brièvement : le Californien s’amuse-t-il encore ? La réponse est immédiate. Il suffit de voir sa tronche, grimaçante, souriante. Dwyer ne va pas au charbon. Mais fait parler la poudre. Emporté par un beau larsen, il se laisse aller, jouant encore et toujours sur la répétition, riffs martelés, rythmes implacables… Un artiste doublé d’un artisan, amoureux du travail bien fait et du devoir accompli.

Le + divin 

The Jesus And Mary Chain, évidemment. Impériaux, les frères Reid ont puisé dans une discographie, qui, non, ne se résume pas à Psychocandy, aussi important soit-il. Tout de noir vêtus et baignant dans une lumière rougeoyante, les Écossais ont donné une leçon de dignité à pas mal d’entre nous. Jim Reid impose une grâce naturelle tandis que son frère William, davantage marqué par les années, se tient dans l’ombre, rejoints un temps par leur petite sœur (Sister Vanilla). On l’avoue, on n’aurait pas craché sur davantage de larsens. On aurait apprécié un temps de concert un peu plus long. Mais, l’espace d’une heure, ce fut un bonheur parfait. Idéal. Finalement, la formule de JAMC est bête comme chou (les mélodies des Shangri-Las enregistrées avec le Velvet de White Light/White Heat) mais il fallait y penser. N’oubliant pas les tubes (April Skies, Just Like Honey), les Écossais concluent leur set en tirant leur Reverence (et ce refrain imparable : “I wanna die just like Jesus Christ/I wanna die just like JFK”). L’un des sommets de cette édition. Étonnamment, on a croisé beaucoup de gens que ce concert (et ce groupe en général) ont laissé de marbre. Preuve que la notion de tête d’affiche est un brin subjective – d’ailleurs, pour eux, le grand nom de la soirée c’était Temples. D’autres croyants, en quelque sorte.

 

Le + “Tiens, si on gueulait un peu sur la régie ?”: Black Lips

Oui, bon, d’accord, les concerts de Black Lips ont quelque chose de prévisible (combien de fois a-t-on vu la scène envahie au son de Bad Kids, par exemple ?). Et alors ? On n’allait pas jouer les mauvaises langues, trop émus de retrouver nos sales gosses d’Atlanta. Certes, certains frisent la quarantaine mais, franchement, on n’y voit que du feu. Décoration approximative, blague potache (les rouleaux de PQ voltigeurs…) et une fois encore, la joie de retrouver ce rock’n’roll débraillé, bruyant, braillard sans être brouillon. Un regret, forcément : le son, tout riquiqui, nuisait au plaisir – surtout que les Américains jouaient juste après The Jesus And Mary Chain. Ces chansons toutes guitares dehors méritaient un volume autrement supérieur et, sans doute, la grande scène. Ça, c’était pour critiquer : dans les premiers rangs d’une foule compacte, la joie était perceptible, et on ne serait pas surpris de retrouver les Black Lips dans pas si longtemps à Saint-Malo…

©Nicolas Joubard

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La + jolie surprise : Yak

La vie n’a pas l’air compliquée pour les trois Londoniens : un premier LP produit par Steve Mackey (Pulp), un second à venir réalisé par les mains expertes de Kevin Parker (Tame Impala), un single édité par Third Man Records (le label de Jack White)… Bref, sur le papier, tout roule. Mais sur les planches, ces trois loulous veulent en découdre avec la Terre entière, et livrent un set hargneux, revêche, mais fichtrement mélodique. C’est-à-dire que ces garnements sont également d’habiles songwriters et, sous le boucan et la rage, se planquent de vraies belles chansons. Une mise en jambes idéale – puisqu’on avait raté The Proper Ornaments, juste avant.

 

La + belle épiphanie : Arab Strap

En dépit de quelques tubes certifiés (The First Big Weekend, pour n’en citer qu’un), on ne s’était jamais trémoussé au son d’Arab Strap. Ces histoires tristes et caustiques contées d’une voix (faussement) monotone fleuraient bon le lendemain de cuite, l’appartement pas aéré depuis des lustres et la vaisselle qui s’entasse dans l’évier. Pourtant, après une entrée au son des cornemuses, Malcolm Middleton, Aidan Moffat et leurs acolytes ont fait souffler un vent d’air frais sur la scène des remparts – on pense parfois à Magnetic Fields, autre conteur porté sur les synthé cheap, et puis on finit par ne plus penser à rien du tout, emporté par la classe et la prestance de ces Écossais – et preuve, s’il le fallait, que les reformations ont parfois du bon.

 

La + spartiate : Helena Hauff

Avec sa mine d’institutrice sévère mais juste, Helena Hauff a plié un set parfait. Si les premières minutes nous ont paru un tantinet trop soft, la Hambourgeoise a peu à peu calé des tracks à la violence délicieuse. Pour l’avoir ratée de trop nombreuses fois – et ce, toujours pour de mauvaises raisons – on mesurait notre chance d’honorer ce rendez-vous avec la boss du label Return To Disorder. Main de fer et gant plombé : on sort ravi de ce set mêlant house martiale, techno frigorifique et EBM musclé – y a pas à dire, la discipline, ça a du bon.

 

Le + animalier : Interpol

Certes, les liens unissant la Route du rock et le groupe new-yorkais sont forts. Nos néo-corbeaux avaient fait l’aller-retour New-York/Saint-Malo en 2001 pour remplacer un groupe au pied levé. Un an plus tard, ils revenaient auréolés du succès de Turn On The Bright Lights. En 2017, le quatuor revenait pour jouer ce disque en intégralité, histoire de souffler ses quinze bougies. Voilà pour les faits. Mais dans la pratique, on n’a jamais accroché à ces chansons. Et alors ? On était prêts à changer d’avis. À se maudire d’être passé à côté de cet LP quinze ans durant. Sauf que voilà : si la new wave ténébreuse est en place, elle ne réinvente rien. Et, surtout, la voix de canard de Paul Banks gâche tout le reste. On n’a donc pas changé d’avis.

©Nicolas Joubard

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Le + navrant : Future Islands

On nous dit que notre monde est en crise, que le rejet de l’autre gagne du terrain, etc. Bla bla bla. Bien au contraire : si notre société est malade, c’est peut-être de la tolérance criminelle vis-à-vis de formations telles Future Islands. Trois gugusses déroulant une synth pop aussi générique qu’inoffensive. Et qui se sont entiché d’un quatrième larron, nommé Samuel T. Herring – sorte de croisement entre Oliver Stone et François-Xavier Demaison. Ce chanteur évoque souvent ce vieil oncle bourré qui, en fin de banquet, tente de reprendre Sinatra avec la voix de Kermit la Grenouille. Embarrassant. Intenable. Désespérant. Et pourtant fascinant : on a aperçu des centaines de gens danser, sourire, et véritablement aimer ce truc ! Si c’est ça le futur, il va être temps de se trouver une île déserte.

 

Le + belge : Soulwax

Évidemment. Les frères Dewaele n’avaient pas fait les choses à moitié. Battant Thee Oh Sees qui, pingre, n’avait ramené “que” deux batteurs, les Flamands en alignent trois pour donner toute leur force aux morceaux de From Deewee, leur dernier LP en date. Installés aux platines et épaulés par un bassiste et une claviériste, les frangins de Gand déploient alors l’étendue de leur savoir-faire : ce savant mélange entre son rock et énergie electro (ou l’inverse) qui captive un public hagard, ébloui par le son et cette scénographie en noir et blanc, ces clins d’œil à Metropolis… On savait que le groupe des 2manyDJs savait tenir une scène. On a désormais la confirmation qu’il peut désormais ramener son studio sur les planches et rendre le tout hautement spectaculaire.

 

 

Le + décevant : Mac DeMarco

Peut-être un jour se réveillera-t-on et nous nous dirons : “Mais au fait, qu’est-ce qu’on lui trouvait, à ce Canadien?” Sympathique, il l’est assurément. Manquerait plus qu’il morde. Doué, il l’est également – on réécoute souvent 2 (2012), et Salad Days (2014), deux disques à l’humeur mélancolique et primesautière. Mais voilà : à la longue, ce soft-rock devient douceâtre, et les pitreries du Mac tranchent tellement avec l’élégie du propos qu’on s’en retrouve désarçonné. Attention : on a bien conscience qu’un artiste est différent de son œuvre, heureusement. Mais là, les vannes et la bonne humeur virent au systématisme et fatiguent, tout simplement. Et comme les chansons finissent par se ressembler, on s’en va sur la pointe des pieds.

©Nicolas Joubard

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 Le + beau concert : The Moonlandingz

On aurait pu désigner Arab Strap et The Jesus And Mary Chain. Mais ce sera eux. Parce que c’était LE concert que l’on attendait ce dimanche, et que les Anglais n’ont pas failli à leur réputation. Réunissant des membres de The Fat White Family et de The Eccentronic Research Council, ce groupe est l’émanation IRL et irréelle du groupe fictif imaginé par ces derniers sur l’ album Johnny Rocket, Narcissist & Music Machine… I’m Your Biggest Fan (2015). Qu’importe la genèse, place au miracle : des premières mesures psychotiques au final fabuleux, les Britanniques ont tout donné, évoquant à la fois The Fall et Primal Scream – ce sens du rythme qui saisit aux hanches, ces mélodies malades, ces chansons à se damner… Bref, le gang d’oustiders mené par Lias Saoudi et Adrian Flanagan est de ceux que l’on chérit, peu importe les approximations.

Alors, oui, pour diverses raisons – pas ressenti grand-chose, bêtement loupé, pris dans une conversation aussi vitale sur le moment que totalement oubliée aujourd’hui, sans parler d’un quant-à-soi qui permet de rester poli (entre autres mauvaises excuses) – on passe sous silence quelques noms, et pas des moindres, dont The Proper Ornaments, Foxygen, DJ Shadow, Ty Segall ou Tale Of Us. Mais c’est également cela, un festival : se laisser porter, le temps de quelques soirs, par des concerts mémorables et par le reste, les rencontres, etc. À ce sujet, saluons une dernière fois La Route, pour qui l’indie n’est pas un vain mot : outre les bars et les food trucks, on pouvait passer du temps à fouiller dans les bacs de disquaires et à feuilleter pas mal de bouquins (citons les éditions Le Mot Et le Reste ou la Revue Volume…).

Rendez-vous est d’ores et déjà pris du 16 au 19 août 2018…

 

 

Texte : Sandrine Allanic & Thibaut Allemand / Photo : Nicolas Joubard
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